TÉMOIGNAGE – La performance et l’efficacité sont les moteurs de la motivation de Thomas Coatmellec pour l’élevage laitier. Ses 147 vaches en lactation produisent quotidiennement 41 litres de lait avec une marge sur coût alimentaire de 12,6 € par vache et par jour. Le jeune éleveur nous livre ses recettes de la performance rentable.
Thomas Coatmellec a pour objectif de livrer 2,35 millions de litres de lait avec 150 vaches traites. L’écran de son ordinateur affiche un niveau de production laitière de 41 litres par vache et par jour avec 3,1 traites quotidiennes et 198 jours de lactation en moyenne. Ce dernier indicateur a dérivé à cause d’un épisode de fièvre Q qui a contraint l’éleveur à stopper les inséminations pendant une période. « Je cherche à revenir autour de 5,5 mois moyens de lactation » commente le trentenaire installé à Glomel, dans le centre de la Bretagne. Depuis le départ à la retraite de son père en septembre 2023, il a repris, seul, les rênes de la ferme familiale exploitée par ses aïeux depuis plus de deux siècles. L’installation de robots de traite et l‘embauche d’une salariée n’ont pas suffi à remplacer son père qui revient fréquemment sur l’élevage donner des coups de main.
Rigueur et régularité
Pourquoi chercher à produire autant de lait par vache ? A cette question, le jeune éleveur répond d’abord « qu’il est un passionné d’élevage et que ce qui le motive dans son métier, c’est la recherche de la performance et de l’efficacité ». Il ajoute que la productivité laitière est également « une nécessité économique dans son système ». En effet, il lui faut « diluer » ses charges fixes en produisant plus de lait. Or, la main d’œuvre et le foncier sont, comme dans beaucoup d’exploitations, des facteurs limitants. Les récoltes des 165 ha de SAU, dont 25 ha de prairies naturelles en zone humide valorisés avec une seule coupe de foin, sont intégralement consommées par le troupeau laitier. Le chargement laitier est donc de 17 000 litres de lait par hectare valorisé en lait.
Pour Thomas Coatmellec, le haut niveau de productivité est le résultat de sa conduite de l’alimentation qui est animée par deux mots-clefs : rigueur et régularité. Il explique que « la rigueur fait partie de sa routine quotidienne de travail, qu’il ne s’autorise pas d’impasse dans ses protocoles de travail sous prétexte que cela prend du temps ». La régularité dans la composition des rations des animaux est indispensable. « S’attacher à la régularité est d’autant plus nécessaire lorsque l’on est plusieurs à travailler dans l’élevage » commente l’éleveur. Il cite, en exemple, la distribution des concentrés à l’auge. « Nous préparons un mélange de tous les concentrés pour une dizaine de jours. De cette façon, la précision dans les quantités distribuées est plus fiable que si nous les chargions chaque jour les uns après les autres dans la mélangeuse ».
17000 litres de lait / ha consommé
Les vaches ingèrent plus de 27 kg MS de ration quotidiennement dont 15 kg MS de fourrages : maïs fourrage, ensilage de prairies temporaires et ensilage de luzerne (voir la ration). « Je raisonne la complémentarité des fourrages pour couvrir les besoins nutritionnels de l’animal » explique le jeune éleveur qui précise que « le maïs apporte de l’énergie par l’amidon, l’herbe fauchée très jeune est la source de fibres très digestibles. La luzerne, fauchée au stade floraison, a pour rôle de favoriser la rumination ».
Les 165 ha de SAU sont intégralement consommés par le troupeau laitier, y compris les 23 ha d’orge dont les grains enrichissent en énergie la ration à l’auge. La paille est, quant à elle, hachée et calibrée au Teagle® pour être mélangée dans les rations des vaches taries et des génisses. Une quarantaine d’hectares de prairies temporaires semés avec un mélange de RGH typé anglais, de RGA, de trèfle blanc et de trèfle violet sont ensilés toutes les trois à quatre semaines. « Mes terres portantes me permettent de suivre le même rythme d’exploitation que le pâturage pour stocker une herbe très digestible 1 ». Le rendement évalué en sortie de mélangeuse par l’éleveur est de l’ordre de 12 à 13 tonnes de matière sèche sortis en sept coupes. Le centre Bretagne étant plutôt froid au printemps, avec une faible minéralisation de la matière organique du sol, Thomas Coatmellec dynamise la pousse de l’herbe en apportant 50 unités d’azote sous forme d’ammonitrate ou de lisier en janvier ainsi que 40 unités entre chaque coupe. L’éleveur ensile également 20 ha de luzerne au stade début floraison. « La ration des vaches étant très fermentescible, j’ai besoin d’apporter de la fibre mélangée dans la ration pour faire ruminer » explique l’éleveur. « Dans ma ration, c’est le rôle de la luzerne ». Les 55 ha de maïs sont semés avec un inter-rang de 50 cm car, il utilise son semoir à betterave. L’éleveur choisit des variétés de génétique grains ou mixte qu’il ensile à un stade tardif, autour de 38 % de MS, pour maximiser le taux d’amidon. Une quinzaine d’hectares sont récoltés en grains incorporés dans les rations2 .
Distribution de précision
Avant chaque ouverture de silos, des échantillons de fourrage sont prélevés par carottage pour analyser la valeur nutritionnelle. « Cette méthode d’échantillonnage est plus précise et plus fiable que des prélèvements par poignée sur le front d’attaque » commente l’éleveur. Au fil de l’avancée du silo, le taux de matière sèche des fourrages est mesuré régulièrement pour ajuster les quantités brutes de fourrage à charger. Un échantillon de chaque fourrage est prélevé dans la mélangeuse et analysé avec une friteuse sans huile (voir la méthode en illustration). Thomas Coatmellec reconnaît que « cela prend un peu de temps, mais que c’est indispensable pour performer ». Le taux de matière sèche de la ration mélangée est également mesuré par la même méthode.L’objectif est de distribuer une ration entre 38 % et 40 % de matière sèche. Si elle dépasse ce niveau, l’éleveur ajoute de l’eau dans la mélangeuse pour obtenir un mélange plus compact. A ce niveau de matière sèche, l’éleveur observe « que les animaux ne peuvent pas trier dans l’auge ». Elles ingèrent donc une ration équilibrée à chaque repas.
La ration des vaches en lactation est distribuée en fin d’après-midi. Thomas Coatmellec y voit trois avantages. Tout d’abord, l’élevage n’étant pas équipé d’un repousse-fourrage automatique, les animaux ont accès à la ration pendant toute la nuit. Le deuxième avantage s’observe en période de forte chaleur : la distribution a lieu lorsque la température redescend ce qui favorise les ingestions. L’éleveur remarque également que, l’hiver, « la distribution en fin d’après-midi attire moins les étourneaux à l’auge ». Dans la journée, la ration est repoussée dans l’auge deux à trois fois par jour. « Je vise le zéro refus : je ne me formalise pas si l’auge est vide pendant une heure par jour » commente l’éleveur qui ajoute que « lorsque les vaches étaient traites en salle de traite, elles n’avaient pas accès à l’auge pendant plus de six heures par jour ».
Même s’il dispose de deux alimentateurs par robot, Thomas Coatmellec a choisi de ne distribuer qu’un seul concentré au robot à raison de 1,1 kg de concentrés pour 10 kg de lait produit. Ce concentré à base de farine de maïs et de tourteau de soja contient des nutritionnels comme de la méthionine protégée et non protégée (cette dernière nourrie les bactéries du rumen et améliore l’efficacité de transformation de la ration), des levures et de la matière grasse hydrogénée. La ration totale (à l’auge et au robot de traite) coûte 6,86 € par vache et par jour. Grâce à son excellente transformation en lait (1 kg de ration permettant de produire 1,67 kg de lait payé 0,47 €), la marge sur coût alimentaire dépasse 12 € par jour et par vache.
Nouveau décollage pour la productivité laitière
Augmenter la quantité de lait par vache est l’objectif le plus fréquemment cité par les 201 éleveurs laitiers que Le Mag XXLait a interrogé ce printemps. Plus du quart des interviewés ont cité spontanément la productivité laitière dans leurs priorités d’amélioration pour les 3 années à venir. Depuis la fin de l’année 2022, l’objectif de productivité laitière se renforce dans nos enquêtes. Aujourd’hui, 48 % des éleveurs laitiers affirment s’inscrire dans une stratégie productive, c’est-à-dire de saturer les facteurs de production pour les rentabiliser, voire d’investir pour produire plus de lait. C’est 10 points de plus par rapport à la fin de l’année 2022. Le prix du lait plus favorable depuis 2022 (même si en euros constants, il est égal à celui de l’année 2000 !) incite les éleveurs qui souhaitent rester dans le métier à produire plus de lait tout en restant prudent sur les investissements d’agrandissement. L’augmentation de la productivité laitière est donc un levier pour livrer plus de lait en augmentant la marge sur coût alimentaire (MCA) par place de vache. Aujourd’hui, les élevages productifs dépassent 12 € de MCA par vache et par jour.