TÉMOIGNAGE. D’un voyage aux USA en 2014, Kévin REMY est revenu avec la conviction qu’il devait retravailler l’élevage des génisses dans son exploitation pour obtenir des primipares plus lourdes, plus résilientes et plus productives. Aujourd’hui, ses génisses vêlent à 21 mois à plus de 700 kg de poids vif. Il nous livre son mode d’emploi basé sur une distribution de colostrum et de lait de transition pendant quatre à cinq jours, un programme d’allaitement ad libitum, un sevrage très progressif, une hygiène très rigoureuse et une limitation des sources de stress.
« Depuis la libéralisation des quotas, nous avons quasiment doublé notre production laitière » amorce Kévin REMY pour présenter son exploitation, L’EARL de Woecourt. Il en a pris les rênes, seul, après le départ en retraite de son père au début de cette décennie. Son père continue de lui donner un bon coup de main quotidien. Tous les deux sont aidés de deux salariés à 32 heures de travail hebdomadaires et de l’équivalent d’un mi-temps de salarié (embauché via un groupement d’employeurs). L’EARL de Woecourt exploite 230 hectares de surface dans le nord de la Meuse. 140 hectares sont cultivés en céréales et en colza pour être vendus et 90 hectares produisent des fourrages (maïs, betteraves, luzerne et prairies naturelles) pour nourrir le troupeau laitier. « En plus, j’achète 20 hectares de maïs fourrage sur pied à un voisin » précise Kévin Rémy. Entre 150 et 160 vaches sont traites quotidiennement avec une TPA 2 X 8 postes pour livrer un peu plus 2 millions de litres de lait cette année. « Le bâtiment des laitières dispose de seulement 140 places, je souhaite donc augmenter le niveau de production de lait par vache et par jour et dépasser les 40 Kg » se fixe comme objectif Kévin REMY.
Difficile de différencier les primipares des multipares
Pour progresser en productivité, en efficacité et en santé, il s’est focalisé sur l’élevage des veaux et des génisses. « C’est en allant aux Etats-Unis que j’ai pris conscience de l’importance de l’élevage des génisses. Je suis allé dans des élevages où les primipares étaient tellement développées, qu’il était impossible de les distinguer d’une multipare dans le troupeau » raconte l’éleveur. « Depuis, travailler l’élevage des veaux a été ma priorité » insiste Kévin REMY qui explique « qu’il cherche à faire vêler ses génisses de plus en plus tôt mais surtout de plus en plus lourdes ». Pour l’éleveur, « le plus important est le poids de plus de 700 kg au vêlage. Tout en limitant la croissance de la génisse après 7-8 mois d’âge entre 750 et 800g de GMQ sous peine de graisser les ovaires, la mamelle et bien sûr l’animal. Ce qui serait très préjudiciable pour sa future carrière ». Son record : un premier vêlage à 19,5 mois à 730 Kg de poids vif. Le résultat qu’il vise pour toutes ses génisses, est un premier vêlage entre 20 et 21 mois avec des animaux qui pèsent plus de 700 kg. Kévin Rémy est convaincu que « l’âge au premier vêlage se détermine dès 3 ou 4 mois d’âge. Tout retard de croissance pris sur cette période ne se rattrapera pas ». Une croissance très soutenue dans les 3 à 4 premiers mois de vie, avec un régime riche en protéines, permet à la masse musculaire des femelles de beaucoup se développer.Kevin Rémy soutient « qu’une primipare en début de lactation va vite perdre du gras mais jamais de muscle ».
« Pour suivre la croissance, il faut peser les animaux,
les mesures avec un ruban ne servent à rien
avant l’âge de 6 mois »
L’objectif de croissance est donc clairement affiché : au moins 1 kilo de GMQ en moyenne jusqu’à 8 mois avec un GMQ aussi haut que possible pendant les 3 ou 4 premiers mois. Les jalons tout au long de la croissance sont posés : un sevrage à 150 kg (à 90 jours de vie), 200 kg à 4 mois et 400 kg à 10-12 mois, l’âge objectif pour l’insémination. Kévin Rémy s’attache également à l’apparence des animaux à l’âge d’un mois et demi. « Je recommande aux éleveurs que je rencontre de prendre une photo de leurs génisses à cet âge-là, car les animaux auront la même présentation 1 à 2 mois après leur premier vêlage ».
Les génisses sont pesées très régulièrement : à la naissance, à la mise au DAL (vers 10 – 15 jours d’âge), tous les jours au DAL (équipé d’une balance pour les pattes avant), vers un mois et demi à deux mois, au sevrage puis tous les deux mois. Kevin REMY est catégorique : « pour suivre la croissance, il faut peser les animaux, les mesures barymétriques avec un ruban ne servent à rien avant l’âge de 6 mois ». Il a comparé les résultats obtenus avec les deux méthodes. « Le ruban donne un écart de 50 kg en plus ou en moins par rapport à une véritable pesée, ce qui équivaut à un écart de plus de 400 g de GMQ sur 4 mois ».
Les 4 premières traites conservées au réfrigérateur
Pendant les quinze premiers jours de vie, les risques de diarrhées sont importants. Pour éviter que les veaux ne se contaminent entre eux, ils sont logés en case individuelle et possèdent leur seau à tétine individuel : ce dernier est marqué du même numéro que la niche du veau. Il est rincé et lavé au savon microbille (« le seul qui dégraisse vraiment » selon l’éleveur) entre deux buvées. « La tétine est égouttée en la pressant » précise Kévin REMY. Lors du changement de veau, le seau à tétine est lavé et désinfecté avant d’être utilisé par un autre veau. Pour cela, il est rincé, lavé au savon microbille, puis désinfecté au produit chloré de nettoyage de salle de traite, rincé à nouveau après un temps de contact, puis égoutté.
Les veaux sont alimentés pendant leurs trois premières buvées (soit pendant un jour et demi) par le colostrum de leur mère (voir le plan d’alimentation lacté des deux premières semaines sur la fiche veau). « Ils en boivent la quantité qu’ils veulent » commente Kévin. Ils ne sont jamais drenchés car l’éleveur n’aime pas faire cette opération. « Je m’assure que la qualité du colostrum soit d’au moins 25° Brix1 ». Les quatre premières traites sont conservées dans des bouteilles en plastique au réfrigérateur. Ces dernières sont tracées par des bouchons de couleur différente : chaque couleur correspond à une seule traite d’une seule vache (voir la photo). Le « lait de transition-colostrum » est réchauffé au bain marie avant d’être distribué au veau. « Le lait ne doit jamais être en contact direct avec le réchauffe-lait » insiste Kévin Rémy. Pendant les quatre à cinq jours suivants, ils boivent du lait de transition et un « fond de cuve » de colostrum quand il en reste de disponible. « Aucun colostrum n’est jeté » pointe Kévin REMY. C’est aussi pendant cette période que la transition vers l’aliment d’allaitement (la poudre de lait) démarre. Depuis le mois de janvier, un probiotique (Pectolit Pro®) est ajouté à la poudre de lait pour, selon l’éleveur, « protéger l’intestin en prévention de la cryptosporidiose ». Lorsque les animaux sont alimentés à la poudre de lait, ils disposent de Kaolin en libre-service2. A partir du septième jour, les veaux ne sont nourris qu’à l’aliment d’allaitement à raison de deux repas par jour avec la quantité de lait que les veaux veulent bien boire. Entre le douzième et le quinzième jour de vie, le veau est transféré au DAL où il est pesé. « Le GMQ est très variable pendant les quinze premiers jours de vie, de 500 g à près de 1000g, voir plus selon les quantités de lait que le veau a bien voulu boire » constate Kévin REMY.
Une phase décroissante du plan d’allaitement de 40 jours
Pendant leurs quarante premiers jours au DAL, les veaux sont nourris à volonté. « Ils boivent entre 10 et 14 litres d’aliment d’allaitement à 27 % de protéines par jour » observe l’éleveur. A la fin de la phase ad libitum, les animaux atteignent entre 90 et 110 kg. Ensuite, la quantité d’aliment d’allaitement programmée sur le DAL diminue progressivement pendant quarante jours. « La phase décroissante du plan d’allaitement dure deux fois plus longtemps que ce que l’on peut observer dans la plupart des élevages » reconnait Kévin. « Un sevrage lent et progressif minimise le stress et diminue les risques de coccidiose au moment du sevrage, phase durant laquelle les animaux sont le plus sensibles » selon l’éleveur. Pendant toute la phase d’allaitement, les animaux ont accès à de la paille propre en libre-service, des granulés à volonté et, bien sûr, à de l’eau potable. Les veaux sont sevrés lorsqu’ils ingèrent 4 kg de concentrés sous forme de granulés à 21% de protéines, 7% de cellulose brute et 1 UFL.
« Pendant leurs premiers 40 jours au DAL, les veaux sont nourris à volonté
et boivent entre 10 et 14 litres d’aliment d’allaitement par jour à 27 % de protéines»
Le taux de mortalité se situe entre 2 et 4 % sur la période 0 à 6 mois. « Quelques diarrhées surviennent au moment du passage au DAL » note l’éleveur. Elles sont rapidement prises en charge avec un probiotique, du réhydratant et du kaolin en libre-service. Selon l’éleveur, « dans la plupart des cas, elles n’entrainent pas d’arrêt de la distribution du lait, ni de retard ou d’hétérogénéité de croissance ». « Je ne vaccine contre aucune maladie que ce soient les vaches ou les veaux ; tout simplement parce que je ne veux pas le faire » assène Kévin Rémy. De même, les veaux ne reçoivent aucun traitement contre la cryptosporidiose ou la coccidiose. « Pour gérer le risque, je dois donc être très vigilant sur l’ambiance dans la nurserie : la température, l’hygrométrie, les courants d’air ». La toiture de la nurserie est isolée avec des panneaux sandwich. « Concevoir une nurserie bien ventilée, c’est compliqué » admet l’éleveur. « Et je n’ai pas la prétention de donner des conseils en la matière ». Il a essayé des extracteurs d’air, une gaine de surpression. « J’ai tout arrêté pour, au final, revenir à une ventilation naturelle ». L’éleveur adapte « au feeling » l’entrée d’air en levant ou baissant des panneaux translucides installés sur la façade orientée au sud (voir la photo). Pour éviter l’accumulation d’ammoniaque et d’eau dans l’air ambiant, les aires paillées de la nurserie sont curées tous les lundis. Un jeu de barrières permet d’enfermer les animaux d’un coté ou de l’autre de la case pendant le curage. Kévin reconnait que « les quelques génisses qu’il a dû piquer pour des problèmes respiratoires qui ont trainé pendant plusieurs jours ne sont pas gardés dans l’élevage ». Il a en effet remarqué que « devenues adulte, elles étaient également sujettes aux pathologies respiratoires ».
Quinze à vingt jours jours après le sevrage, les animaux sont transférés dans un autre bâtiment. Elles reçoivent la même alimentation que dans la nurserie puis une transition est faite pour incorporer un mash à volonté ainsi que 3 kg du même granulé que celui distribué en nurserie. « Toutes les trois semaines, les génisses avancent d’une case dans le bâtiment » décrit Kévin REMY. C’est également l’occasion de faire les transitions entre les rations : une moitié du linéaire de l’auge contient la ration d’avant et l’autre moitié, celle d’après. « En choisissant leur ration, les génisses font la transition à leur rythme » justifie Kévin Rémy. « La règle est de ne pas leur faire subir plus d’un seul stress à la fois » recommande l’éleveur quiexplique « qu’au moment de leur sevrage, on ne les change ni de lot, ni de bâtiment. De la même façon, lorsqu’on les change de bâtiment, on ne modifie pas radicalement leur ration ».
Les dernières génisses pesées à 8-9 mois affichent plus de 320 kg sur la balance. Elles sont en bonne voie pour atteindre 400 kg à 10-12 mois, l’âge ciblé pour leur insémination.
« La règle est de ne pas leur faire subir plus d’un seul stress à la fois :
le logement, la mise en lot et l’alimentation ne doivent pas être modifiés en même temps »
Earl de Woecourt, Nouillonpont (Meuse, 55)
- Exploitation de polyculture-élevage.
- 1 dirigeant, Kévin REMY, et 2,5 salariés (à 32 heures par semaine) dont 0,5 en groupement d’employeurs. Le père de Kévin, à la retraite, est fréquemment présent pour donner des coups de main et remplacer Kévin lorsqu’il doit s’absenter.
- Kévin Rémy est le président de l’association European Dairy Farmer (EDF) France (Voici le site EDF Europe : https://www.dairyfarmer.net ainsi que la présentation de d’EDF France sur le site du BTPL : https://btpl.fr/edf/).
- 150-160 vaches Prim’Holstein à la traite (175 VL au total).
- Livraison de 1,9 à 2 millions de litres de lait conventionnels sans OGM (+ 800 000 litres en 10 ans).
- 38 à 39 kg de lait /VL/j à 6,2 mois moyens de lactation.
- TP de 33 g / l et TB de 39 g / l.
- Intervalle entre vêlages (IVV) entre 380 et 390 jours.
- Traite en salle de traite 2 X 8 TPA (1 seul trayeur ; 1 seule traite / jour / salarié).
- Engraissement de 50 taurillons Prim’Holstein par an.
- Conduite d’élevage des génisses :
- Sevrage des veaux à 150 kg et 90 jours.
- 200 kg à 4 mois.
- 400 kg à l’insémination autour d’un an.
- Premier vêlage à 21 mois et à 700 kg de poids vif.
- 230 ha de SAU dont 140 ha de cultures de vente.
- Ce qui permet de couvrir les besoins de 200 g d’immunoglobuline avec 3 litres. ↩︎
- Le kaolin est un pansement intestinal largement utilisé dans la lutte contre les diarrhées néonatales grâce à son coût modique. Il est préférable de le mettre en libre-service dans un seau ou le mélanger au concentré plutôt que de l’incorporer dans les buvées à cause de son pH basique qui va perturber la formation du caillé dans l’estomac du veau. ↩︎