AVIS D’EXPERTS- En production laitière, performances technico-économiques et environnementales ne sont pas opposées affirment Sylvain Foray et Damien Behaghel d’Innoval, chiffres à l’appui. Bien au contraire, en optimisant leurs systèmes de production, les éleveurs laitiers améliorent leur bilan carbone, valorisent mieux l’azote organique et rejettent moins d’ammoniac dans l’air. L’analyse technico-économique est une porte d’entrée stimulante vers une agriculture respectueuse de l’environnement.
Les dix pour cent de fermes laitières les moins émettrices de gaz à effet de serre (GES) sont également celles qui affichent les meilleures performances techniques. C’est ce qui ressort d’une analyse comparative d’un échantillon de 300 diagnostics CAP2ER réalisés par Innoval entre 2017 et 2023 (voir la méthodologie d’analyse ainsi que les données comparées dans le tableau 1). Les exploitations les plus vertueuses produisent 1000 litres de lait de plus par vache et par an que les dix pour cent les plus émettrices tout en étant plus efficientes sur la consommation de concentrés. Elles écartent, également, moins de lait grâce à de meilleurs résultats cellulaires. Leurs vaches accomplissent 0,5 lactation de plus et produisent donc plus de lait par jour de vie. Pour Sylvain Foray, le référent technique sur les questions environnementales de la coopérative Innoval et son collègue Damien Behaghel, chef marché reproduction, « cette analyse confirme que les efficiences écologiques, économiques et techniques sont liées ». Autrement dit, améliorer les productions en maîtrisant la consommation d’intrants conduit à augmenter la marge économique et à réduire le coût environnemental de chaque unité produite.
Les 10 % d’élevages laitiers les plus vertueux
rejettent 44 % de GES en moins que
les 10 % les plus émetteurs
Les enjeux environnementaux de production de GES, d’épandage d’azote et d’émission de d’ammoniac sont liés.
Pour Sylvain Foray « les données de l’étude permettent également de vérifier cette assertion ». En effet, les élevages qui rejettent le moins d’éq CO2 (équivalent CO2(2)) sont également ceux qui valorisent le mieux l’azote organique et qui achètent le moins d’azote minéral par hectare de SAU. Un exemple permet d’illustrer ce lien entre azote, GES et pollution de l’air par l’ammoniac. La gestion des effluents et la fertilisation sont responsables d’environ 30 % des émissions de GES dans une exploitation d’élevage et d’un peu plus de 50 % des émissions d’ammoniac. En optimisant le stockage des déjections par la couverture de fosse, l’épandage du lisier par l’utilisation de matériel moins émissifs (pendillard, injections dans le sol), les pertes ammoniacales dans l’air sont réduites jusqu’à 80 %. Moins d’azote perdu vers l’air, c’est plus d’azote disponible dans les déjections, et donc moins d’engrais minéraux à acheter.
Les portes d’entrée pour améliorer l’empreinte écologique d’une exploitation sont donc multiples.
L’entrée peut se faire par un diagnostic environnemental comme le CAP2ER. Pour Sylvain Foray, « ce dernier a une vertu pédagogique ». Il permet de comprendre comment l’exploitation parvient à ce niveau d’émissions de GES, quelles sont les pratiques d’élevage et les comportements des éleveurs qui augmentent le plus les rejets. L’analyse technico-économique est également une autre porte, perçue plus positivement, pour réduire l’empreinte environnementale d’une exploitation. Trouver l’optimum de fonctionnement d’un système de production valorise mieux les ressources et permet donc de tendre vers un système plus respectueux de l’environnement. Efficience économique et respect de l’environnement ne sont pas des objectifs opposés. C’est pourquoi, pour Sylvain Foray, « les préconisations quotidiennes des conseillers Innoval intègrent la dimension environnementale et améliorent les indicateurs environnementaux ». En suivant la trajectoire de l’efficience économique, l’éleveur est serein et assuré d’améliorer son efficience écologique. « L’environnement ne doit pas être une charge mentale supplémentaire pour l’éleveur » insiste le salarié d’Innoval.
Analyser les émissions de carbone à l’échelle de l’exploitation toute entière.
C’est ce que recommande l’expert d’Innoval. Cette focale plus large permet d’éviter de préconiser des solutions qui peuvent se révéler contreproductives. Sylvain Foray cite en exemple le levier de la diminution de l’âge au premier vêlage des génisses. L’abaisser permet de réduire le nombre total de génisses dans l’élevage ainsi que la période improductive des animaux. Deux bénéfices qui tendent à diminuer les émissions de méthane du cheptel laitier et donc le contenu carbone du lait. « Mais, si la mise en œuvre nécessite de réduire voire de supprimer le pâturage des génisses, alors il faut prendre en compte l’impact carbone du remplacement des prairies par des cultures dans le bilan » avertit Sylvain Foray. A l’échelle de la ferme toute entière, le levier de réduction de l’âge au premier vêlage n’est pas toujours cohérent avec l’objectif de réduction des rejets de GES. C’est pourquoi, le salarié d’Innoval préfère analyser le bilan carbone d’une exploitation laitière avec deux indicateurs en parallèle : les émissions de carbone par litre de lait et par hectare de SAU.
L’exemple précédent illustre que les actions pour réduire les GES ne sont pas identiques d’une exploitation à l’autre et que l’on ne peut pas copier – coller des recettes. Le climat, le parcellaire, les ressources humaines, les motivations des agriculteurs sont différents entre exploitations. « Pour chaque ferme, il faut trouver l’optimum de fonctionnement du système de production pour améliorer leur bilan carbone » répète Sylvain Foray. Cependant, quel que soit le système d’exploitation, les leviers de conduite du troupeau, de gestion de la reproduction et de sélection génétique qui jouent sur la réduction du temps improductif (la réduction du nombre de génisse et du temps d’élevage des génisses) et sur l’augmentation de la quantité de lait par jour de vie (la longévité, le pourcentage de lait livré) ont souvent une incidence positive sur le bilan carbone.
Les critères de sélection génétique qui contribuent à l’augmentation de la quantité de lait par jour de vie améliore le bilan carbone d’un élevage laitier.
Ainsi, l’aptitude à la reproduction permet de moins subir le moment de fécondation de la vache ; l’amélioration des index cellules et mammites diminue le nombre de réformes et le volume de lait écarté ; la sélection sur les autres critères de santé contribue à allonger la carrière des animaux. Damien Behaghel, le chef de marché reproduction d’Innoval, souligne que « sélectionner les animaux sur leur efficience alimentaire permettrait également de réduire les émissions de méthane » tout en précisant aussitôt « qu’aucun index de sélection sur ce critère n’est pour le moment effectif ». La sélection sur la quantité de lait tend également, selon le chef de marché, à réduire l’empreinte carbone. Il explique que « dans une race donnée, les vaches à haut potentiel sont plus efficientes que les autres. Elles vont mieux s’adapter aux conditions limitantes de l’exploitation et produire plus de lait. Il faudra donc moins d’animaux pour produire la référence laitière ». Au bilan, le troupeau sera donc plus économe en émissions de méthane. « Sélectionner les taureaux sur les critères associés aux objectifs de son élevage permet d’obtenir des animaux adaptés au système de production, plus efficients pour valoriser les ressources et capables de produire plus longtemps » conclue Damien Behaghel sur le lien entre génétique et bilan carbone. La génétique comme autre lien entre l’optimisation du système et l’environnement.