TÉMOIGNAGE- Fabrice et Sylvain Houée ont investi, en 2021, dans une installation de méthanisation de 75 Nm3/h. Leur souhait d’augmenter leur revenu a été largement exhaussé puisque leur méthaniseur dégage plus de résultat que leur exploitation laitière. Le contexte économique très favorable au moment de l’investissement aide à booster le résultat.
« Dans moins de dix-huit mois, la majorité de nos prêts bancaires arriveront à échéance. Nous avions donc la capacité de réinvestir pour augmenter notre revenu » commence Fabrice Houée pour expliquer pourquoi il a investi avec son frère Sylvain dans la méthanisation. Les deux hommes se sont installés en 2001 et en 2008 sur l’exploitation familiale située à Iffendic, une commune située à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rennes. Jusqu’à leur nouvel investissement, leur revenu provenait en grande majorité de la vente du 1,2 million de litres de lait conventionnel produit par leur troupeau de 145 vaches laitières.
Rentabilité en faveur de l’injection
Les deux agriculteurs ont entamé les premières études de leur projet en janvier 2019 et le terrassement a débuté un an plus tard, en mai 2020. Les premiers mètres cubes de biométhane ont été injectés dans le réseau après un an de travaux, en avril 2021. « Etant donné les enjeux financiers, c’est primordial de travailler avec une société fiable aux niveaux du process, des études, du suivi de chantier et de la production » souligne Sylvain Houée. C’est le constructeur PlanET Biogaz qui a été choisi par les deux entrepreneurs qui mettent en avant « l’organisation structurée de la société pour les accompagner dans la production avec un service maintenance, un service biologie qui apporte également des conseils pour achats de matière ». La proximité 1 a également pesé dans leur choix car « c’est un gage d’intervention rapide en cas de problème » selon les éleveurs. Avec PlanET Biogaz, Fabrice et Sylvain Houée ont comparé la rentabilité de la cogénération avec celle de l’injection de biométhane. Bien que plus chère à la construction, la voie de l’injection était deux fois plus rentable sur le papier. Les deux frères profitent d’une situation géographique à moins d’un kilomètre du réseau de gaz, si bien que le raccordement de leur installation au point d’injection n’a coûté que 38 000 € 2. Les études de faisabilité ont conduit à une unité de méthanisation en injection directe d’une capacité de 75 Nm3/h (soit 1800 Nm3 /j) comprenant une cuve de fermentation de 2600 m3. La fosse à lisier existante de 3000 m3 a été adaptée et couverte pour stocker une partie du digestat. Une autre fosse de 2600 m3 a été construite à proximité du digesteur pour compléter la capacité de stockage à 5900 m3 3(3). Les silos permettent de stocker l’équivalent de dix-huit mois de consommation d’ensilage. « Il faut bien estimer les capacités de stockage car il est hors de question d’être en rupture d’ensilage » insiste Fabrice Houée. L’ensemble de l’unité de méthanisation a coûté 3,250 millions d’euros (43 300 € / Nm3) sans subvention.
La ration du méthaniseur en tonnes brutes par jour.
- 6 T de fumier pailleux.
- 8 à 9 m3 de lisier.
- 7 T de CIVES (seigle et triticale).
- 4 T d’ensilage de maïs.
- Co-produits : issues de drêche de blé, pulpes, mélasse, vinasse.
Les lisiers de raclage des aires d’exercice mélangés aux eaux vertes et blanches sont collectés dans une pré-fosse et transférés automatiquement dans le digesteur grâce à une pompe. Les éleveurs ont également installé une cuve permettant de stocker et d’incorporer directement dans le méthaniseur des coproduits liquides comme de la vinasse ou de la mélasse. La ration solide à base de fumier d’aire paillée et d’ensilages de maïs, de seigle et de triticale (voir la ration) est introduite dans le fermenteur grâce à un prémix. Ce dernier permet de préparer un substrat « fluide » en hachant les matières solides et en les mélangeant à du liquide prélevé dans le digesteur.
Bilan agronomique nuancé
Après deux années complètes d’activité, Fabrice et Sylvain Houée tirent un premier bilan en commençant par un impact agronomique nuancé. Du côté positif, les éleveurs estiment qu’ils achètent maintenant 30 à 40 % d’ammonitrate en moins grâce à une valorisation des digestats sur une plus grande surface que les matières organiques. Le digestat passe dans un séparateur de phases. La fraction sèche est épandue avant les semis de blé et sur les luzernes tandis que la partie liquide fertilise le RGI en août, le blé et les CIVES début mars et, au printemps, les semis de maïs ainsi que les RGA récoltés. Le GAEC profite de trois sites de stockage du digestat répartis sur son parcellaire : le site principal de l’exploitation avec 5900 m3 de capacité, un site avec une fosse de 600 m3 et un troisième site avec une petite réserve de 200 m3. Cette configuration est favorable à l’épandage du digestat sans tonne sur le seigle et le blé en sortie d’hiver 4. Un camion-citerne de 30 m3 acheté en CUMA permet de transporter rapidement le digestat dans les différentes fosses ou dans un caisson étanche de 55 m3 (également la propriété de la CUMA). « Cette logistique permet d’épandre jusqu’à 540 m3 de digestat en une seule journée » calcule Sylvain Houée. Du côté négatif, les deux agriculteurs estiment que l’introduction de CIVES dans la rotation pénalise les rendements des autres cultures. Aujourd’hui, la totalité de la surface en couverts végétaux est récoltée alors qu’auparavant, seulement 30 ha de RGI (sur 90 ha de couverts) étaient ensilés pour nourrir le troupeau laitier. Le taux de matière organique est donc suivi avec attention par leur conseiller en agronomie. D’autre part, les semis des maïs ensilages après les CIVES sont repoussés au début du mois de mai. Fabrice Houée a observé qu’« en 2022, ces maïs semés plus tardivement ont plus souffert de la chaleur et de la sécheresse ». Son frère note également que « l’introduction du triticale et du seigle dans la rotation CIVES – maïs ensilage – blé favorise le piétin échaudage sur le blé ».
Les deux entrepreneurs ont calculé que la méthanisation occupe 70 % d’un temps plein. Ce n’est pas la routine quotidienne de chargement et de surveillance qui prend le plus de temps puisque l’alimentation du méthaniseur en matières solides demande autour d’une demi-heure de travail et la surveillance est réalisée à distance sur les smartphones. Le supplément de travail se mesure surtout dans les champs comme le raconte Fabrice Houée. « Au printemps, lorsqu’il faut ensiler les 60 ha de CIVES pour semer directement derrière le maïs ensilage, nous vivons de véritables coups de bourre ». Pour faire face au surcroit de travail, la SCEA a embauché un salarié à plein-temps. Comme ce dernier prend son tour d’astreinte un week-end sur quatre, les deux associés profitent de davantage de week-ends de repos.
Résultat net d’impôt : 16 % du CA
Le prix de vente du MWh de biométhane est indexé sur l’inflation et a augmenté de 25 % depuis 2021 pour atteindre 163 €/MWh en 2023. En 2022 (dernier exercice comptable connu), l’installation a vendu l’équivalent de 954 000 € de gaz. 54 % de ce montant sert à payer les coûts de production d’un total de 516 000 €, soit 70 €/MWh de biométhane produit. La ration est le premier poste de charges opérationnelles et représente 53 % de ces dernières. Les fumiers et les lisiers sont rétrocédés à prix modéré par la SCEA à la méthanisation. Le prix de cession des ensilages de maïs et de CIVES sont estimés au prix du marché auxquels s’ajoute le coût de la prestation rendue silos. Les services extérieurs absorbent 47 % des coûts de production dont 60 000 € pour la maintenance et les réparations (en majorité pour le poste d’injection) et 53 000 € de droit d’injection payé annuellement à GRDF. En 2022, le montant de la facture d’électricité s’élève à 42 000 €, ce qui est peu au regard de la consommation annuelle de près de 700 MWh. Les éleveurs profitent d’un contrat d’achat à 57 € /MWh jusqu’à la fin de l’année 2024. Ce dernier a été renégocié à la hausse sur la période 2025 à 2027 inclus si bien que sur cette période, le poste électricité augmentera de près de 25 000 € par an. Les prestations d’épandage du digestat par la CUMA sont facturées à la SCEA. La méthanisation ne supporte également aucun coût de travail. En retirant à l’EBE le remboursement de la dette (qui a été financée à un taux d’intérêt très avantageux de 0,85%), le résultat net d’impôt représente 16 % du chiffre d’affaires. Fabrice et Sylvain Houée concluent en souriant que « [leur] méthaniseur est nettement plus rentable que [leur] élevage laitier ». Tout en soulignant « qu’ils ont eu la chance d’investir au bon moment : les coûts de construction ne s’étaient pas encore envolés, les taux d’intérêt étaient à un bas niveau et le prix de vente du gaz a augmenté de 25 % ».
- Le siège de PlaNET Biogaz est également situé en Ille-et-Vilaine, à Liffré. ↩︎
- Le reste à charge du coût de raccordement au réseau est de 40 000 € HT par kilomètre déduction faite de la subvention de 60 %. ↩︎
- Une 3ème fosse couverte de 680 m3 situé sur un autre site complète la capacité de stockage du digestat. Le digestat est transféré sur ce second site grâce à un camion-citerne de 30 m3 acheté en CUMA. ↩︎
- Les épandages de printemps sur le maïs et d’été sur le RGI sont réalisés avec une tonne à lisier équipée d’un enfouisseur appartenant à la SCEA. ↩︎