Laurent Lambert l’un des 3 associés de la Ferme de Lioux dans le département de la Vienne. Avec ses deux fils Mathieu et Baptiste, il a investi dans une installation de méthanisation en cogénération de 195 kW / h.

« Notre résultat net représente 23% du chiffre d’affaires »

TÉMOIGNAGEAprès avoir envisagé d’adhérer à un projet de méthanisation collective, Laurent Lambert et ses deux fils ont préféré investir dans une installation en cogénération de 195 kW/h autonome. Après deux années de fonctionnement, ce choix s’avère payant économiquement et agronomiquement.

En 2014, lorsque Mathieu Lambert s’est installé avec son père Laurent sur l’exploitation laitière que ce dernier avait repris en 2001, les deux hommes ont préféré se diversifier plutôt que développer l’atelier laitier car ils jugeaient que « la production laitière n’était pas suffisamment rentable ». Les deux agriculteurs ont repris 160 ha de terres, développer une production de maïs semences sur 30 ha et se sont lancés dans la production d’électricité en érigeant deux hangars équipés de panneaux solaires. Lorsque Baptiste Lambert, le second fils de Laurent, a rejoint l’exploitation en 2017, les trois associés ont poursuivi leur stratégie de diversification dans les cultures et dans l’énergie en ajoutant deux autres hangars photovoltaïques et en investissant deux millions d’euros dans une installation de méthanisation en cogénération 1. Aujourd’hui, les trois agriculteurs aidés de trois salariés (équivalents à deux temps-pleins) livrent, dans le département de la Vienne, 680 000 litres de lait AOP Beurre Charente-Poitou, cultivent 740 ha de terres et produisent 1916 MWh d’électricité par an avec leurs 3205 m2 de panneaux voltaïques et à leur méthaniseur de 195 kW/h.

« L’idée de produire du biogaz remonte à 2014 » raconte Laurent Lambert. « Notre première réflexion était d’investir collectivement avec un groupe d’agriculteurs installés autour de Poitiers » poursuit l’agriculteur. Mais, il est revenu de la visite de plusieurs installations collectives avec la conviction que « la logistique d’apport des intrants et d’épandage du digestat était coûteuse, très émettrice de carbone et compliquée en zone périurbaine. Une installation autonome [lui] semblait plus cohérente avec [leur] système de production ». En effet, les changements climatiques transforment leur système de production : les rendements sont pénalisés l’été à cause des sols séchants et des restrictions d’irrigation, alors qu’en hiver, la végétation ne s’arrête plus vraiment de pousser. Laurent Lambert prédit qu’il « produira plus de biomasse en hiver et au début du printemps qu’en été » et conclue que « la méthanisation permet de valoriser ces pousses d’hiver ».

Les trois agriculteurs ont lancé les premières études économiques et techniques de leur projet de méthanisation en 2018. L’injection de biométhane aurait nécessité de poser un gazoduc de 10 km qui devait passer sous une ligne LGV et traverser plusieurs villages. Une solution non rentable au regard des ressources méthanogènes disponibles sur l’exploitation. « Pour nous, c’est inenvisageable d’utiliser des cultures principales pour alimenter le méthaniseur car nous voulons conserver la totalité de notre EBE agricole pour faire face à nos besoins financiers » justifie Laurent Lambert. Ils ont donc opté pour une installation en cogénération qui permet de produire 195 kW/h d’électricité en valorisant les fumiers et les CIVES de l’exploitation (Voir la ration). « Le business plan prévoyait que l’on pouvait en tirer un revenu de 3000 € nets d’impôts par mois » se souvient l’agriculteur.

Les éleveurs ont choisi une installation AGRISELECT d’agriKomp avec un digesteur de 1800 m3 et une cuve de stockage du digestat de 2500 m3. La ration solide à base de fumier pailleux est incorporée directement dans le digesteur.

Les exploitants ont été accompagnés par un bureau d’étude indépendant, Idéo Environnement, pour l’étude économique et le choix de la technologie. Leur choix s’est porté sur un process agriKomp, une technologie qui, selon Laurent Lambert, « a fait ses preuves en matière de méthanisation de ration à base de fumier pailleux ». L’incorporation directe de la ration solide dans le digesteur a également convaincu les exploitants par sa simplicité. « Ce choix limite le nombre de moteurs et donc la consommation électrique » argumente Laurent Lambert qui prévient, cependant, « qu’il faut faire attention au choix des matières utilisées pour limiter l’introduction de pierres dans le digesteur ». L’installation se compose de deux cuves : un digesteur d’une capacité de 1800 m3 et un stockage du digestat de 2500 m3 de volume. Cette dernière cuve est équipée d’un gazomètre pour récupérer le reliquat de biogaz produit dans le digestat. Pour les agriculteurs, « cette solution qui stocke un plus grand volume de gaz permet d’obtenir un biogaz de qualité plus stable ». La chaleur générée par le moteur est récupérée pour sécher à plat 1500 tonnes par an de grains (dont 500 tonnes facturés à la coopérative) et 30 hectares de luzerne. Cette activité de séchage génère seulement 5 % du chiffre d’affaires total de la méthanisation 2 tout en étant chronophage car elle demande beaucoup de manipulations et de nettoyage entre les lots.

Les trois associés ensilent entre 90 et 110 ha de CIVES annuellement pour alimenter leur méthaniseur (voir la ration).  Les 150 ha de couverts végétaux semés avant le maïs et le tournesol permettent de couvrir, en toute sécurité, ce besoin. Cependant, les agriculteurs souhaitent enfouir au moins la moitié des couverts végétaux pour préserver la matière organique du sol. Ils récoltent donc uniquement 70 ha de seigle ou d’un mélange de sorgho et de moha pour leur méthaniseur. Le complément de 40 ha de CIVES est fourni par un céréalier voisin en système biologique. « En échange de l’épandage de digestat [autorisé en bio], nous semons du seigle dans ses 40 ha de luzerne qui, ainsi, se salissent moins en hiver » explique Laurent Lambert. Dans leur exploitation, les agriculteurs ont également introduit 30 ha de luzerne dans la rotation blé-orge-colza. Ce fourrage est récolté à l’autochargeuse toutes les 4 semaines et séché en vrac grâce à la chaleur du moteur. Cette nouvelle culture a, selon les trois associés, « l’intérêt d’allonger les rotations et donc d’épandre moins d’herbicides ». En bonus, dans la ration des vaches laitières, 4 kg de luzerne économise 0,7 kg de tourteau de colza par jour et par vache (20 tonnes sur l’année). « Ces changements dans la rotation des cultures ont modifié les rendements en blé et en tournesol » observe Laurent Lambert. L’impact a été positif pour les céréales ; à l’inverse, les rendements en tournesol ont légèrement reculé à cause des semis plus tardifs derrière les CIVES.Autre intérêt agronomique de la méthanisation : les achats d’engrais azotés ont fortement diminué car le digestat est épandu sur une surface double de celle fertilisée historiquement avec les matières organiques.

La ration du méthaniseur en tonnes brutes par jour

  • 6 à 7 tonnes de fumier pailleux frais (les aires paillées sont curées tous les lundi).
  • 10 m3 d’eaux vertes, d’eaux blanches et de lisier. Pour atteindre le bon niveau de matière sèche, de l’eau est parfois ajoutée dans la ration en été.
  • 6 tonnes de CIVES (seigle et mélange sorgho + moha pour les CIVES d’été).
  • 1 tonne d’issus du tri des céréales achetés à la coopérative.
  • La matière solide est introduite par cycle de 400 kg dans le digesteur et le liquide une seule fois par jour.

« Sur les deux premiers exercices, les prévisions économiques ont été respectées quasiment à l’euro près » notent avec satisfaction les trois associés. En 2022, la génératrice a fonctionné 99 % du temps disponible (8676 heures sur 8760 heures disponibles) ce qui a permis de produire l’équivalent de 357 000 € d’électricité. Laurent Lambert souligne « qu’en cogénération, le temps de fonctionnement du moteur est l’une des clefs de la rentabilité ». Pour faire face aux pannes, les associés ont signé un contrat de maintenance avec agriKomp qui comprend, notamment, le remplacement du moteur tous les 5 ans. Ils constituent progressivement une trésorerie de 100 000 € pour parer aux réparations imprévues. « Il est hors de question que l’installation soit arrêtée parce que nous n’avons pas la trésorerie suffisante pour payer les réparations » insiste Laurent Lambert. Les agriculteurs sont également réactifs aux alarmes moteur pour réenclencher ce dernier le plus rapidement possible suite aux microcoupures de courant dans le réseau 3.

En 2022, les charges totales s’élèvent à 259 000 € hors impôts sur les bénéfices, soit 153 € par MWel. Le remboursement de l’emprunt représente 44 % des charges (112 900 €) et les achats de prestations extérieures, 33 % des charges (87100 € dont 54000 € pour la maintenance et les réparations). Le reste des charges (59 000 €, soit 23 % du total) sont imputables à la ration et à l’épandage du digestat. Les coûts de la ration comptabilisés sont les achats des issues de tri des céréales ainsi que la mise en place et l’ensilage des CIVES (hors coût du travail des associés). Le fumier et les eaux blanches et vertes sont apportés gratuitement à la méthanisation en contrepartie du digestat. Ce dernier est épandu avec la tonne et un tracteur de l’exploitation et la prestation est facturée autour de 2 € par m3 épandu (sans la main d’œuvre). Le temps de travail des associés n’est pas facturé à la méthanisation car ces derniers se rémunèrent en dividendes. Laurent Lambert estime que la méthanisation génère annuellement au moins 950 heures de travail supplémentaires 4, soit 60 % d’un plein temps. Cette surcharge de travail a été compensée par l’embauche d’un salarié à mi-temps pour s’occuper du troupeau laitier le soir et par l’arrêt de la production de maïs semences.  

Le résultat net après impôt s’élève à 81 000 €, soit 23 % du chiffre d’affaires : 36000 € alimentent la trésorerie et 45000 € sont distribués en dividendes aux trois associés. L’objectif de rémunération de 1000 € nets d’impôt par mois et par associé est donc atteint pour, rappelons-le un temps de travail équivalent à 20 % d’un temps-plein par associé. Laurent Lambert explique la bonne rentabilité économique de son installation par 1/ un juste dimensionnement de l’installation au gisement de matière disponible sur l’exploitation, 2/ l’absence de suréquipement et 3/ une bonne prévision des besoins en CIVES pour alimenter le méthaniseur de façon autonome. « Si je devais acheter des matières pour alimenter le méthaniseur, la rentabilité se dégraderait rapidement » souligne l’exploitant.

  1. Avec 600 000 € de subventions de l’ADEME (la moitié) et de la région Nouvelle-Aquitaine (l’autre moitié). ↩︎
  2. Sans comptabiliser le séchage de 1000 t de maïs et de tournesol réalisé pour l’exploitation estimé à 20 000 €. ↩︎
  3. Les microcoupures dans le réseau électrique entraînent un arrêt du moteur par sécurité. ↩︎
  4. 370 heures pour le chargement de la ration et la surveillance de l’installation, 300 heures pour le suivi administratif, 250 heures pour l’ensilage des CIVES (leur mise en place n’est pas comptabilisée car elle aurait lieu même sans méthanisation) et 40 heures de différence de temps d’épandage du digestat par rapport à l’ammonitrate. ↩︎