Avec 333 € de marge sur coût alimentaire par vache présente et par mois, l’élevage laitier de Jérôme et Arnaud Goupy affiche une efficacité alimentaire assez exceptionnelle

« Nos 72 vaches ont généré 288 000 € de marge sur coût alimentaire sur les 12 derniers mois »

TÉMOIGNAGE- Avec 333 € de marge sur coût alimentaire par vache présente et par mois, l’élevage laitier de Jérôme et Arnaud Goupy affiche une efficacité alimentaire assez exceptionnelle. De l’élevage des génisses à la gestion de l’auge, les deux éleveurs nous révèlent ce qui, pour eux, a construit cette performance.

« En 2014, lorsque nous avons installé notre premier robot de traite, nous livrions 650 000 litres de lait avec un peu plus de 60 vaches » raconte Jérôme Goupy. « A peine dix ans plus tard, nous en vendons 865 000 litres ». Jérôme Goupy s’est installé en 2000, en association avec ses parents, à une quarantaine de kilomètres au nord d’Alençon (dans l’Orne). Lorsque ses parents ont pris leur retraite, son frère Arnaud l’a rejoint au sein du Gaec des Bruyères. La moitié des 215 000 litres de lait produits en plus s’est faite en trayant dix vaches supplémentaire sur l’unique robot de traite. « En sélectionnant sur la vitesse de traite, nous avons atteint un débit moyen de 3,2 litres de lait par minute » explique Jérôme Goupy 1. L’autre moitié de l’augmentation du litrage a été obtenue grâce à un bond de 10 000 à 12 000 litres du niveau d’étable (soit 38,1 litres de lait vendus par vache et par jour). Les deux associés ne souhaitent pas installer un deuxième robot de traite car « pour le financer il faudrait doubler le cheptel ».  « Nous sommes déjà bien occupés avec 180 hectares de culture en plus du lait » commente Arnaud Goupy. « Nous ne voulons pas nous surcharger de travail, mais garder du temps pour réfléchir, prendre du recul sur nos façons de travailler » complète son frère ainé. « Nous préférons optimiser qu’agrandir » résument, en chœur, les deux frères.

« Notre progression du niveau d’étable nous étonne encore parce qu’elle s’est faite sans révolutionner notre système de production » reconnaît Jérôme Goupy. « Cette performance n’a pas été réalisée à n’importe quel prix ». Leur stratégie est d’investir sur des périodes courtes mais déterminantes pour la production laitière : l’élevage des veaux, la préparation au vêlage et le démarrage en lactation. « Tout en veillant à ne pas accroître le temps de travail » insiste Jérôme Goupy. « Ce qui nous a fait gagner le plus de litrage, ce sont les améliorations apportées à l’élevage de nos génisses entre leur naissance et six mois » analyse Arnaud Goupy. Les deux associés élèvent toutes leurs génisses. Une vingtaine vient renouveler le troupeau laitier et les autres sont vendues prêtes à vêler entre 1300 à 1400 € par animal. « Cette somme couvre à peine nos coûts d’élevage » admet Jérôme Goupy. « C’est le prix que nous acceptons de payer pour ne pas avoir à acheter d’animaux à l’extérieur en cas de problèmes sanitaires ».

Les éleveurs se sont d’abord attaqués à réduire la prévalence des diarrhées néonatales et des maladies respiratoires en améliorant le renouvellement de l’air dans la nurserie et en étant plus rigoureux sur le nettoyage et la désinfection. Ils ont gardé les anciennes cases à veaux en bois en installant des caillebotis en plastique pour drainer la litière. L’installation d’une ventilation dynamique à « pression positive » permet de renouveler l’air « vicié » plus rapidement à l’intérieur de la nurserie. Depuis la mise en route de la ventilation, les éleveurs constatent que « les litières ainsi que les trottoirs d’alimentation sont plus secs ». Un système efficace, économique (bricolé par les éleveurs à partir de matériel récupéré) mais un peu bruyant. Toujours dans l’optique de réduire les maladies, les mères sont vaccinées contre les diarrhées néonatales, les biberons sont nettoyés et désinfectés après chaque utilisation et les cases individuelles sont lavées et désinfectées entre chaque veau. Les aires paillées des cases collectives sont curées toutes les semaines. Les vêlages en deux périodes (l’une de la mi-août au début novembre et l’autre de la mi-février à la mi-mai) permet un véritable vide sanitaire d’un mois en janvier et de quelques semaines en été. « Nous connaissons encore quelques cas de veaux malades, mais les problèmes sanitaires se sont considérablement réduits avec tous ces efforts » se réjouissent les deux éleveurs.

« Sur la période de 0 à 6 mois, nous cherchons une croissance de 1 kg de GMQ » affiche Jérôme Goupy tout en admettant que ses génisses ne sont pas pesées. L’aliment d’allaitement a été changée pour une formule à 26 % de protéines et à 20 % de matière grasse. Après une semaine à dix jours en case individuelle où ils sont nourris au colostrum et au lait de transition, les veaux sont transférés en case collective où ils sont alimentés au DAL (une machine Orvalex ®). Au plateau du programme lacté, ils reçoivent 8 litres de lait par jour (à 140 g de poudre par litre de buvée) en 16 repas. Ils sont sevrés à 8 semaines sur une durée de 3 semaines : 14 repas en 6ème semaine, 12 repas en 7ème semaine puis 8 repas en 8ème semaine. Au sevrage, les veaux ont consommé 45 kg de poudre de lait. L’alimentation solide a également été revue pour faciliter le post-sevrage. Les éleveurs ne distribuent plus de concentrés, mais un mash à 22 % de protéines composé de tourteau de colza, de maïs grain, d’ensilage de maïs et de foin. Ce dernier est mis à disposition dès l’entrée en case collective (vers 7 à 10 jours) et est distribué jusqu’à l’âge de six mois. « La consommation est vraiment significative trois semaines à quinze jours avant le sevrage, lorsque nous diminuons la distribution de lait » remarque Jérôme Goupy. « Au niveau du travail, c’est plus simple que la distribution de concentrés » se félicite son frère. Le mash est préparé pour deux jours dans la mélangeuse puis est distribué dans les auges. « Nous n’avons plus de seaux de concentrés à manipuler ». Même si les éleveurs ne pèsent pas leurs génisses, ils peuvent mesurer les effets du changement de conduite sur les primipares qui vêlent entre 22 et 25 mois avec des démarrages en lactation compris entre 28 et 32 kg de lait et une très bonne capacité d’ingestion.

Les éleveurs ne distribuent plus de concentrés, mais un mash à 22 % de protéines composé de tourteau de colza, de maïs grain, d’ensilage de maïs et de foin. Ce dernier est mis à disposition dès l’entrée en case collective (vers 7 à 10 jours) et est distribué jusqu’à l’âge de six mois.
Les éleveurs ne distribuent plus de concentrés, mais un mash à 22 % de protéines composé de tourteau de colza, de maïs grain, d’ensilage de maïs et de foin. Ce dernier est mis à disposition dès l’entrée en case collective (vers 7 à 10 jours) et est distribué jusqu’à l’âge de six mois.

Les éleveurs ont séparé les animaux en préparation au vêlage en deux lots : l’un pour les génisses et l’autre pour les vaches.  Pour Jérôme Goupy, « cette conduite évite la concurrence à l’auge ». « Les génisses consomment autant de ration que les vaches » observe-t-il. Les rations sont les mêmes pour les deux groupes d’animaux sauf que les génisses ne reçoivent pas de sels anioniques car elles ont moins de risques de problèmes de délivrance ou de fièvre de lait. La composition de la ration est classique dans la région : 7 kg sec de maïs ensilage, 3 kg brut de tourteau de colza, 4 kg brut de paille hachée et un minéral spécial préparation aux vêlages complété par des sels anioniques (uniquement pour le lot des vaches). La principale évolution de la ration a été de broyer la paille préalablement coupée au rotocut. « Ce changement a énormément joué sur la consommation : le mélange à l’auge est plus homogène, la consommation est plus régulière, sans tri » se réjouit Arnaud Goupy. Les éleveurs mesurent le pH urinaire toutes les semaines pour surveiller l’évolution de la BACA. « Nous préférons consacrer un peu de temps à cela qu’à soigner des fièvres de lait ! » argumente Jérôme Goupy.

En ce qui concerne les vaches en production, les efforts ont porté sur l’amélioration du confort du logement. Le bâtiment a été construit en 2003 et aménagé en logettes matelas paillées. La place ne manque pas puisqu’il a été conçu pour 80 places alors qu’il n’y a, au plus, que 72 animaux présents. Jérôme Goupy pointe, cependant, que « depuis les vaches ont gagné en gabarit et elles sont, maintenant, moins à leur aise dans les logettes ». Un cornadis à l’une des extrémités de la table d’alimentation a été remplacé par une barre au garrot. Arnaud Goupy explique « qu’ainsi, les animaux dominés sont plus tranquilles pour manger, ils ne se sentent pas piéger au cornadis ». Des ventilateurs verticaux ont été installés en 2019 avec des résultats visibles selon les éleveurs. « En période de forte chaleur, la répartition des vaches dans le bâtiment est plus homogène, les animaux vont au robot plus fréquemment et nous avons une meilleure réussite à l’insémination ».

Le bâtiment a été construit en 2003 et aménagé en logettes matelas paillées. La place ne manque pas puisqu’il a été conçu pour 80 places alors qu’il n’y a, au plus, que 72 animaux présents.
Le bâtiment a été construit en 2003 et aménagé en logettes matelas paillées. La place ne manque pas puisqu’il a été conçu pour 80 places alors qu’il n’y a, au plus, que 72 animaux présents.

Pour maîtriser les boiteries, les pattes arrière des vaches sont systématiquement lavées à chaque traite. Pour ce faire, Arnaud Goupy a conçu et installé deux buses qui propulse de l’eau au moment de la désinfection des brosses. Un jour par semaine, les animaux passent dans un pédiluve positionné à la sortie du robot de traite. Un regret : « le bac en plastique est trop court pour une désinfection efficace ».

Les animaux consomment 18 kg de matière sèche de fourrage à l’auge (voir la ration). Ce qui permet de produire un peu plus de 38 kg de lait (38,1 litres de lait vendus par vache et par jour en moyenne en 2023) avec, seulement, 35 % de concentrés dans la ration (74 % du lait – 28 kg – est produit par les fourrages). Pour Jérôme Goupy, « cette performance est à mettre au compte 1/ du travail sur la capacité d’ingestion démarré dès l’élevage du veau, 2/ de la qualité des fourrages stockés et 3/ de la gestion de l’auge ». « Pour l’ensilage de RGI, nous cherchons à récolter une herbe jeune, feuillue, au moment où la dernière feuille est à peine sortie » explique l’éleveur. Le maïs est coupé à 50 cm du sol pour concentrer l’énergie et réduire la teneur en fibres indigestibles. Un report de stock de 6 mois au minimum est constitué pour distribuer du maïs bien fermenté avec de l’amidon bien dégradable dans le rumen. Les transitions entre les maïs de deux années consécutives se passent progressivement au sein du silo d’hiver 2. Ce silo est ouvert à l’une des extrémités, une année, puis le front d’attaque est inversé l’année suivante. Au moment de l’ensilage, le maïs en cours de distribution est étalé en biais et le nouveau maïs est ensilé devant. Le silo est alors fermé à cette extrémité pour être ouvert à l’autre extrémité où il reste 6 mois d’ensilage fermenté de l’année précédente La transition entre les deux années se fera donc 6 mois plus tard, sur 1 mois, quand le front d’attaque atteindra le nouveau maïs.

La ration des vaches en production en octobre 2023

L’auge des vaches laitières est creuse. « Avec cette conception, les vaches ont accès à la ration 24 heures sur 24 sans avoir besoin de repousse fourrage » explique Arnaud Goupy. L’inconvénient du nettoyage manuel est minimisé par les éleveurs qui jugent « qu’enlever une centaine de kilos de refus demande peu de travail :  ils sont jetés à la pelle dans le couloir d’alimentation et repris avec la fraise de l’automotrice ».

Une forte productivité laitière associée à une très bonne valorisation des fourrages : les ingrédients sont réunis pour assurer une excellente marge sur coût alimentaire avec un « juste » prix du lait. D’octobre 2022 à octobre 2023 (sur 12 mois glissants), elle est de 333 € par vache présente (y compris les taries) et par mois (11 € / VL présente / j). Elle dépasse de 93 € la moyenne des élevages laitiers Ornais (240 € de MCA / mois). Ramenée à l’année, le Gaec des Bruyères dégage 288 000 € de marge sur coût alimentaire, près du double de celle d’il y a six ans. Entre temps, le coût alimentaire a certes augmenté de 44 € / 1000 litres mais, les vaches ont produit 11 litres de plus par jour et le lait est payé 48 % plus cher.

  1. Soit 0,4 l / min de plus que la moyenne des vaches de race Holstein. Ce qui, sur le papier, permet de traire 15 vaches de plus à 38 litres de lait par jour. ↩︎
  2. Les éleveurs font également un silo d’été distribué entre le 1er juin et la mi-août. C’est la période pendant laquelle ils ont le moins de vaches en lactation (une cinquantaine) à cause des deux périodes de vêlage (voir l’encart à ce propos). ↩︎