Christine Goscianski, cheffe de projet Économie des filières lait de vache à l’IDELE, a partagé son analyse des évolutions de la collecte et de la consommation de produits laitiers en France et en Europe. Des indicateurs qui orientent le prix du lait.
La collecte laitière française diminue tous les ans depuis 2015 et plus rapidement à partir de 2020. Entre 2015 et 2023, les livraisons de lait ont régressé de 8% en passant de 25 millions de tonnes à moins de 23 millions de tonnes. Ce qui a pénalisé la fabrication de produits laitiers en France, à l’exception de la poudre de lait infantile. Or, pendant cette même période, la consommation intérieure de produits laitiers a suivi une courbe inverse en progressant légèrement. Les français consomment l’équivalent de 20 milliards de litres de lait, soit un peu plus de 300 litres par habitant. L’augmentation globale de la consommation cache des évolutions contrastées en fonction des familles de produits. Les achats de lait liquide et de desserts ultra-frais diminuent année après année. Il en est de même pour le beurre qui a connu un pic de consommation pendant la période de la COVID-19. A l’opposé, les fromages en libre-service et la crème affichent un dynamisme soutenu. Le marché des produits laitiers est, aujourd’hui, peu menacé par les alternatives végétales dont la part de marché est très marginale, de l’ordre de 4% pour les « laits » végétaux. Mais, selon Christine Goscianski de l’IDELE, la bataille pour les parts de marché pourrait s’intensifier : l’offre de laits végétaux se développe avec des campagnes de communication plus agressives.
En 10 ans, érosion de 10 points du taux d’auto approvisionnement
La consommation de produits laitiers augmente, mais les prix de vente font l’inverse ! En effet, à la recherche de prix d’achat moins cher, les consommateurs s’orientent vers les marques de distributeur (les MDD) dont la part de marché a progressé de 3 à 4 points depuis 2022 ; ils délaissent le Bio (dont les ventes ont chuté de 11 à 18 % en volume entre 2022 et 2023) et tout autant les produits labellisés AOP. Conséquence de cette descente en gamme : le prix moyen des produits laitiers dans le panier de la ménagère a reculé de 2,3% entre 2023 et 2024.
Une collecte qui diminue alors que la consommation progresse conduit à une dégradation du taux d’auto approvisionnement de la France en produits laitiers. Alors que ce taux était de 123% en 2012, il n’est plus que de 112% dix ans plus tard. L’IDELE prévoit que cette érosion se poursuivra pendant la décennie à venir pour descendre à 102% en 2033. En effet, l’institut calcule que la production laitière française va continuer de reculer de 4,6% entre 2023 et 2033 (soit environ 1 milliard de litres de lait en moins !) alors que, pendant ce même laps de temps, les achats de produits laitiers vont augmenter de 2,6% grâce à la trajectoire démographique (en prenant l’hypothèse d’une consommation individuelle stable). La balance commerciale se détériore puisque les exportations de produits laitiers ont diminué entre 2022 et 2023 (de -6% en volume et de -4% en valeur)1 tandis que les importations progressent depuis 2020, sauf en 2023.
Plus de différence de prix du lait entre laiteries
La contraction de la collecte française a été compensée par une augmentation des importations de produits laitiers équivalente à +2 milliards d’euros entre 2018 et 2022. Les importations représentent 37% du lait consommé en France (l’équivalent de 7 milliards de litres) essentiellement sous forme de beurre et de fromages (1). 70% des importations proviennent de 4 pays producteurs européens : les Pays-Bas, le Belgique, l’Allemagne et l’Italie. Or, le cheptel laitier diminue également dans les autres pays de l’UE et la collecte de lait plafonne, sauf en Pologne2. Sur la période 2023 à 2035, un recul de 1,1% du nombre de vaches laitières est attendu dans l’UE. Ce dernier ne sera que partiellement compensé par une hausse de la productivité. Dans les autres pays laitiers de l’UE, le prix du lait est donc également soutenu autour de 400 à 450 € la tonne.
Quelle perspective pour le prix du lait en France ? La tension sur la collecte de lait en Europe a propulsé le prix du lait conventionnel à plus de 400 € la tonne depuis le début de l’année 2022. Pour Christine Goscianski, 400 € par 1000 litres est un cran en-dessous duquel le prix du lait ne redescendra probablement pas dans les années à venir (sauf crise économique majeure). En effet, les perspectives de consommation de produits laitiers restent dynamiques malgré une baisse des prix de vente moyen, alors qu’à l’opposé la collecte européenne de lait est atone. Elle souligne cependant que les différences de prix de vente du lait vont s’accentuer entre les laiteries. Les « petites » laiteries qui ont une zone de collecte régionale et qui commercialisent des produits laitiers à marge rémunéreront probablement mieux les producteurs que les grands groupes mondialisés qui ont une forte activité à l’export et qui peuvent délocaliser leur production dans des zones de collecte plus dynamiques.
- Seulement 57% du lait collecté en France sont consommés sur le marché intérieur. Le reste, 43%, est exporté en fromages (36 % des exportations de lait), en poudres diverses (25 %) et en beurre (13%) principalement. ↩︎
- La production laitière mondiale a fortement augmenté de 200 millions de tonnes entre 2013 et 2023. L’Asie (en particulier, l’Inde et la Chine) a été à l’origine de la moitié de cette progression. ↩︎