Le monitoring de l’élevage des veaux n’en est encore qu’à ses prémices. Quels indicateurs et quels outils pour surveiller la santé et suivre la croissance de ces animaux ?
« Un éleveur qui souhaite des premiers vêlages à 24 mois doit viser 200 kg de poids vif pour ses génisses de 6 mois. L’équation est donc simple : il faut un GMQ de 900 g de moyenne jusqu’à l’âge de 6 mois. C’est impossible sans une croissance homogène sur les 180 jours, sans oublier les développements directement liés à la phase lacté comme le parenchyme mammaire » analyse Fabien Zalewski, technicien chez Lactalis Feed. Il décrit qu’« une part de son travail est de proposer des aliments d’allaitement avec un plan d’alimentation qui permette d’atteindre les objectifs recherchés par les éleveurs. Mais pas uniquement ». En effet, à la demande, lui et ses collègues, se rendent sur le terrain pour vérifier que les résultats attendus en termes de croissance des génisses, de santé et d’efficacité des aliments sont au rendez-vous. « Notre activité quotidienne comprend donc une forte dose de technique et pas seulement en nutrition » souligne le technicien de Lactalis Feed.La gestion du colostrum, la préparation des buvées, l’hygiène, l’ambiance dans les bâtiments, le renouvellement des litières sont autant de facteurs qui impactent fortement la santé et la croissance des animaux. Fabien Zalewski a invité Le Mag XXLait à l’accompagner et à partager son expertise lors d’un audit d’élevage. Invitation acceptée car nous étions curieux de découvrir quels repères et quels outils le technicien utilise à l’heure où le suivi d’indicateurs chiffrés est encore balbutiant pour monitorer l’élevage des veaux.
La bascule : le juge de paix !
Fabien Zalewski démarre son audit en pesant quelques veaux d’âges différents pour calculer leur GMQ. « Clairement, la pesée est le seul baromètre fiable pour suivre la croissance des jeunes animaux » recommande le technicien. D’après son expérience, la mesure du tour de poitrine n’est pas suffisamment précise et déconseillée pour les animaux de moins de six semaines. L’idéal serait de peser tous les animaux dès leur naissance. « A défaut, je prends un poids moyen de 38 kg pour les veaux nouveau-nés de race Holstein » commente Fabien Zalewski. Le technicien rapproche la croissance de la consommation d’aliment. Il explique qu’« 1,25 kg d’un aliment d’allaitement tel que Lactapro extra permet de faire 1 kg de croissance ». En prenant en compte la consommation de concentrés, un poids de 100 kg au sevrage à 10 semaines doit se faire avec 60 kg d’aliment d’allaitement, pas tellement plus. Ce repère permet à Fabien Zalewski d’évaluer l’efficience technique du plan d’alimentation. L’analyse des GMQ et de leur variabilité entre animaux ainsi que de l’efficacité alimentaire permet de poser un premier diagnostic sur l’atteinte des objectifs de croissance et la valorisation des aliments. Sans oublier l’échange avec l’éleveur pour identifier les éventuels problèmes de santé dans l’élevage.
La glycémie pour dire si les veaux ont faim
Si les performances ne sont pas satisfaisantes, Fabien Zalewski décortique, dans un premier temps, le programme d’alimentation. Pour lui, « il faut donner, au minimum, 2 repas de 4 litres de buvée dosée à 140 grammes par litre de poudre de lait pour couvrir les besoins nutritionnels des veaux ». Il observe que « certains éleveurs rechignent à monter les quantités de lait, car ils craignent le déclenchement de diarrhées. En sous-alimentant les veaux, ils n’ont pas de problèmes. Mais, ils n’ont pas de croissance non plus ! » « Ce n’est pas l’augmentation des quantités de lait qui génère des problèmes digestifs, mais un lavage et une désinfection insuffisant du matériel de distribution » corrige le salarié de Lactalis Feed. Le matériel mal nettoyé contamine le lait en bactéries. Plus le veau consomme ce lait, plus il ingère de pathogènes au point de déborder ses défenses immunitaires. C’est la diarrhée assurée. L’ATP-mètre est un équipement qui permet de contrôler la bonne désinfection du matériel de distribution.
« Pour vérifier si le plan d’alimentation couvre suffisamment les besoins énergétiques des animaux, je mesure leur taux de glucose dans le sang » continue Fabien Zalewski en sortant son lecteur de glycémie acheté quelques dizaines d’euros en pharmacie. Il recommande de faire le test (en prélevant quelques gouttes de sang sous la queue) « 6 à 8 heures, après la buvée ». Une valeur de glycémie entre 100 et 125 mg / dl de sang (décilitre) est un bon signe. Elle témoigne que le veau est suffisamment nourri. Au contraire, un taux de glucose sanguin, en-dessous de 80 mg /dl doit alerter : le veau a faim. Il n’a pas bu suffisamment ou, alors, le lait n’est pas assez nutritif : l’aliment d’allaitement est trop pauvre en véritable poudre de lait ou mal dosé. Pour vérifier ce dernier point, Fabien Zalewski recommande d’utiliser le même réfractomètre que celui qui sert à évaluer la qualité du colostrum. Une valeur de 12 % Brix montre que la concentration en alimenta d’allaitement est à 140 g par litre de buvée. Pour obtenir la bonne concentration, il est préférable de peser les quantités plutôt que d’utiliser un pichet doseur. En effet, la densité de l’aliment d’allaitement varie en fonction des fabrications et de la position du sac dans la palette : la poudre de lait contenue dans les sacs en bas de palette est plus tassée et donc plus dense que celle du dessus.
Autre point de vigilance concernant l’alimentation selon le technicien : l’accès à l’eau à volonté. « Dès que les veaux consomment de l’aliment solide, ne serait-ce qu’un peu, il faut leur distribuer de l’eau à hauteur de 4 à 5 litres par kilo de matière sèche ingérée. C’est indispensable pour la digestion dans le rumen » souligne le technicien.
« Le saviez-vous ? »
Le colostrum n’apporte pas que des IgG au veau. Il est également riche :
- en énergie alors que le veau n’a pas de réserve corporelle à la naissance,
- en nutriments
- en hormone de croissance.
Objectif : 4 litres de colostrum très rapidement après la naissance. Puis, seconde buvée de 2 à 3 litres de la première traite dans les 12 heures après la naissance (qui a été conservé au réfrigérateur).
La distribution du colostrum est un acte hygiénique
L’alimentation n’explique qu’une partie des performances de croissance. L’environnement, l’ambiance dans le bâtiment, l’hygiène, l’entretien du paillage peuvent générer des stress, favoriser le développement de pathogènes et causer des maladies qui vont impacter la croissance avec des conséquences sur la future carrière du veau. Un jeune ayant vécu une diarrhée aura une croissance diminuée de 20 % et 2,5 fois plus de risque d’être réformé après la première lactation. Quant aux pathologies respiratoires, elles vont créer des lésions pulmonaires irréversibles qui pénaliseront à vie la future vache. Certains éleveurs remarquent que ce sont les vaches qui ont vécu un épisode pulmonaire dans leurs premiers mois de vie qui supportent le plus difficilement les stress thermiques. La respiration joue, en effet, un rôle clé dans la régulation thermique des vaches au-dessus de 30°C.
La première arme de défense immunitaire du veau, c’est le colostrum par lequel la mère transmet à son petit des immunoglobulines (IgG). Le veau doit en recevoir 200 g rapidement, dans ses toutes premières heures de vie. Cela correspond à une absorption aussi rapide que possible de 4 litres d’un bon colostrum à plus de 22 % de Brix. Le bon transfert de l’immunité nécessite donc de vérifier 1/ la qualité du colostrum avec un réfractomètre, 2/ la quantité ingérée et 3/ l’hygiène de la première traite et du matériel de distribution.
Fabien Zalewski préfère que « le veau boive ses 4 litres de colostrum à la tétine ». En buvant naturellement 4 litres dès la naissance, le veau va atteindre plus rapidement le plateau du plan de lactation. L’expert de Lactalis Feed recommande de « n’utiliser la sonde qu’en deuxième intention, si le veau n’a pas bu ses 4 litres au biberon ». L’hygiène du matériel de distribution (biberon, tétine et sonde) est fondamentale : un colostrum chargé en germes va contaminer le veau et diviser par deux le transfert des IgG dans le sang. Lorsque le colostrum contient moins de 50 000 germes /ml, un tiers des immunoglobulines passent dans le sang ; lorsqu’il est 10 fois plus contaminé, ce taux chute à 15 %.
L’hygrométrie pour apprécier la ventilation
L’humidité, l’accumulation de pathogènes et de poussières dans l’air, l’ammoniac sont des ennemis de la santé du veau. Il faut donc renouveler l’air régulièrement à l’intérieur des bâtiments sans courant d’air ressenti, ce que permet une bonne ventilation. Quelques observations visuelles et olfactives permettent d’apprécier la qualité de la ventilation dans le bâtiment : le poil humide sur la ligne de dos, l’odeur d’ammoniac, l’état des pannes et des tôles, les surfaces d’entrée et de sortie d’air… Mais rien ne vaut des indicateurs chiffrés et objectifs pour apporter un jugement fiable. On peut ainsi mesurer le taux de CO2 dans l’air, ou le taux d’ammoniac à la hauteur de la tête du veau. Fabien Zalewski utilise un hygromètre pour mesurer le taux d’humidité de l’air intérieur comparé à celui à extérieur. « Lorsque le renouvellement de l’air est suffisant, les hygrométries à l’intérieur et à l’extérieur du logement doivent être quasiment identiques » explique le technicien. Il recommande de faire la mesure en plusieurs points du bâtiment pour vérifier l’homogénéité de la ventilation. Et à des jours différents car l’efficacité de la ventilation dépend de l’orientation des vents.
La température des litières pour décider du rythme de curage
Le niveau de contamination des litières est un des principaux facteurs de risques des diarrhées néonatales colibacillaires. E. Coli se multiplie pleinement quand la température oscille entre 37 et 40 °C. Contenir le développement de cette bactérie suppose de maintenir la température en surface de la litière en-dessous de 25/30°C. Il est, cependant, plus facile de relever une température au cœur de la litière, plus tassé. C’est pourquoi, en sachant que la différence de température entre la surface de la litière et à 10 cm de profondeur est d’environ 10°C, l’objectif de ne pas dépasser 25/30°C en surface peut se traduire par un seuil d’alerte autour de 35/40°C à 10 cm de profondeur.
Fabien Zalewski dégaine son thermomètre à sonde pour relever la température de la litière en plusieurs points. « En mesurant régulièrement la température des litières, les éleveurs peuvent adapter le rythme de curage » commente le technicien. Lorsqu’elle approche les 35°C à 10 cm de profondeur, il faut envisager de curer. « Généralement, les éleveurs paillent abondamment les jeunes veaux pour les maintenir au chaud » constate le technicien de Lactalis (voir l’encart sur le score de paillage, page 16). Or, la température de la litière est liée à la quantité de paille quotidienne apportée. Un paillage important entraîne un matelas épais, très aéré, favorable au développement des bactéries aérobies (en particulier quand le taux d’humidité est élevé) qui augmente la température. Il faut donc adapter la fréquence de curage à la quantité de paille apportée.
La boite à outils pour monitorer l’élevage de la génisse
- Pour suivre la croissance des animaux : des barres de pesée Tekklait avec option pesage des animaux vivants.
- Pour mesurer la qualité du colostrum et la concentration des buvées : un réfractomètre Brix.
- Pour suivre la glycémie : un lecteur de glycémie.
- Pour évaluer la qualité de la ventilation : un hygromètre.
- Pour mesurer le taux d’ammoniac de l’air au-dessus des litières : des bandelettes test Hydrion Ammoniac.
- Pour contrôler la bonne désinfection du matériel de distribution : un ATP mètre (équipement en cours d’acquisition).