EXPERTISE – L’usage raisonné des antibiotiques est un enjeu de santé publique et d’image des produits laitiers. Le choix de traiter sélectivement les vaches au tarissement est l’un des leviers. Pour cibler les vaches à traiter, Vetoquinol va lancer au printemps la cassette « Mammites Subcliniques » de son analyseur bactériologique Mastatest®. Ce nouveau test permettra, en cas de doute au tarissement, de confirmer si une vache est infectée ou saine. Explications avec Patrice Ratier, responsable technique Vetoquinol.
Le Mag XXLait : D’ici 2030, les instances européennes veulent diviser par deux la quantité d’antibiotiques utilisée en élevage par rapport à 2018. Pour quelles raisons ?
Patrice Ratier (PR) : La raison principale est la nécessité de lutter contre l’antibiorésistance responsable d’environ 35 000 décès par an en Europe. Un chiffre grandissant et inquiétant. Différents plans Ecoantibio successifs se sont focalisés sur la bonne utilisation des antibiotiques critiques. Le plan actuel, le numéro 3, met l’accent sur une utilisation plus précise des antibiotiques en élevage. Il encourage les analyses bactériologiques au chevet de l’animal pour que le vétérinaire ne prescrive un antibiotique que lorsque c’est nécessaire et avec une molécule ciblée sur la bactérie incriminée. En lien avec la médiatisation de ces différents plans, la deuxième raison de restreindre l’usage des antibiotiques est de rassurer les consommateurs sur l’utilisation judicieuse des antibiotiques en élevage. Le lait étant extrêmement contrôlé, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de résidus d’antibiotique dans cet aliment. Pour maintenir l’image d’un produit sain auprès des consommateurs, il faut continuer de leur donner des garanties.
Le Mag XXLait : Quels sont les leviers pour diminuer l’usage des antibiotiques ?
PR : En élevage laitier, quatre-vingts pour cent des antibiotiques sont administrés aux vaches laitières. Chaque vache reçoit, en moyenne, 1,1 traitement antibiotique par an dont 0,6 traitement pour soigner les mammites cliniques et le reste pour guérir les mammites subcliniques au tarissement. Deux axes sont donc travaillés pour utiliser avec plus de précision les antibiotiques. Le premier concerne les analyses bactériologiques du lait avant de traiter les mammites cliniques non sévères en lactation. Lorsque l’analyse a permis d’isoler E. Coli ou donne un résultat négatif (signe d’un prélèvement stérile), il est recommandé de n’administrer aucun antibiotique car les défenses naturelles de la vache sont généralement suffisantes pour aboutir à une guérison spontanée. En plus de l’économie de médicaments, le lait des vaches non traitées sera remis dans le tank à lait plus rapidement. Quant aux mammites à bactéries Gram +, elles sont soignées avec un antibiotique à spectre étroit, plus ciblé, ce qui réduit les risques d’antibiorésistance. La bactériologie du lait réalisée directement à la ferme grâce à des analyseurs comme Mastatest® facilite grandement l’application de ce protocole de traitement des mammites non sévères, par la simplicité de la réalisation des analyses.
Le Mag XXLait : Vous évoquiez deux axes de réduction des antibiotiques mammaires dont le premier s’applique au traitement des mammites cliniques. Quel est le second ?
PR : C’est le tarissement sélectif qui consiste à ne plus administrer systématiquement un antibiotique à toutes les vaches à ce moment clé. Les vaches dites saines ne reçoivent qu’un obturateur interne du trayon tandis que les vaches infectées sont traitées avec un antibiotique, de préférence ciblé, accompagné d’un obturateur. Cette pratique n’est cependant pas conseillée dans les élevages ayant un niveau cellulaire supérieur à 250 000 cellules dans le tank car la pression infectieuse est trop forte et la mise en œuvre du tarissement sélectif risque de dégrader la situation. A l’opposé, dans les élevages qui livrent très régulièrement un lait à moins de 250 000 cellules, cette pratique peut permettre une économie substantielle d’antibiotiques et présente peu de risque. Pour les élevages qui souhaitent appliquer le tarissement sélectif, une rigueur s’impose quant à l’hygiène de la traite, du bâtiment et aux actions de prévention à mettre en place au quotidien en fonction des facteurs de risque propres à chaque élevage.
Le Mag XXLait : Comment mettre en place le tarissement sélectif dans les élevages où c’est possible ?
PR : Le premier point de vigilance, c’est d’éviter de tarir des vaches qui ont une forte production. Il existe un lien direct entre le risque de nouvelles infections et le niveau de production laitière au tarissement. L’objectif est donc de baisser le niveau de production autour de 15 kg de lait avant de tarir une vache, en diminuant les apports énergétiques et protéiques tout en continuant de la traire.
Ensuite, c’est l’analyse des taux cellulaires individuels qui permet de définir au mieux le statut sanitaire des vaches. L’article 107 du règlement européen sur les médicaments vétérinaires n’autorise qu’à titre exceptionnel et individuel l’utilisation d’antibiotiques de manière préventive. Ceci remet en cause l’utilisation systématique d’antibiotique au tarissement sur des vaches saines, sans justification, comme cela pouvait être le cas jusqu’à maintenant. Le tarissement sélectif est donc devenu indirectement obligatoire. Un taux cellulaire individuel élevé est un critère suffisant pour considérer que la mamelle est infectée. A l’inverse, un taux cellulaire faible témoigne généralement d’une mamelle saine. L’analyse des comptages cellulaires individuels permet de classer les vaches en trois catégories. Les animaux dont la totalité des comptages cellulaires individuels sont en dessous de 150 000 cellules pour une multipare ou de 100 000 cellules pour une primipare et qui n’ont pas eu de mammites cliniques pendant la lactation, sont considérés sains et peuvent être taris uniquement avec un obturateur. Les animaux qui, sur les deux-trois derniers mois de lactation, présentent au moins 1 CCI supérieur à 150 000 cellules pour une multipare (100 000 pour les primipares) ou ont fait une mammite clinique peuvent être considérés comme infectés. Entre ces deux bornes, c’est l’incertitude et la vache est qualifiée de douteuse. La définition de ces trois catégories et les valeurs des bornes peuvent varier en fonction du niveau de risque d’erreurs que l’on peut s’accorder. C’est pour cette raison que les éleveurs peuvent avoir des informations différentes.
XXLait : Pouvez-vous préciser ce qu’est une vache douteuse ?
PR : Sont qualifiées de douteuses, trois catégories de vaches : 1/ celles dont le taux cellulaire a été au moins supérieur une fois à 200 000 cellules pendant la lactation ; 2/ celles qui ont connu une mammite clinique pendant leur lactation et qui semblent cliniquement guéries ; 3/ celles dont le taux cellulaire augmente régulièrement et assez fortement à l’approche du tarissement alors qu’il était bas auparavant. Ce sont ces vaches douteuses qui peuvent générer des échecs du tarissement sélectif. L’éleveur peut croire qu’elle était saine au tarissement et il la retrouve avec des cellules au vêlage. En réalité, dans certains cas, elle était infectée et il aurait fallu la traiter avec des antibiotiques. Pour lever le doute et déterminer si ces animaux sont sains ou infectés, il faut faire une analyse bactériologique de leur lait. A partir du second semestre 2024, les éleveurs laitiers vont pouvoir le faire directement et facilement à la ferme en utilisant l’analyseur Mastatest® et ses nouvelles cassettes. A cette date, son utilisation actuelle sur les mammites cliniques sera étendue aux mammites subcliniques.
XXLait : Comment s’utilise l’analyseur Mastatest® sur le site même de l’élevage ?
PR : Mastatest® est un analyseur bactériologique du lait qui identifie automatiquement les bactéries présentes lors de mammites cliniques en lactation ou lors de mammites subcliniques. Il est installé directement dans l’élevage. C’est l’éleveur lui-même qui fait le prélèvement, place l’échantillon de lait dans la machine et lance l’analyse. Ensuite, tout se fait automatiquement. Mastatest® est proposé 1 par le vétérinaire de l’élevage qui réalise l’interprétation des résultats. Le rôle du vétérinaire est essentiel car le résultat d’analyse donne lieu éventuellement à une prescription d’antibiotiques de plus en plus encadrée juridiquement. Son mode d’emploi est simple (voir l’illustration). L’éleveur 1/ prélève un échantillon de lait lors de la traite (en respectant le protocole de prélèvement), 2/ remplit la cassette, 3/ place cette dernière dans l’analyseur et lance l’analyse. Le résultat de l’analyse arrive sur la boite mail du vétérinaire et de l’éleveur dans les 24 heures. Pour les mammites cliniques non sévères, la cassette permet à la fois d’identifier la bactérie et de réaliser un antibiogramme, ce qui est nécessaire pour identifier les staphylocoques dorés résistants aux antibiotiques. Dès la connaissance du résultat, le vétérinaire, à partir des commémoratifs transmis par l’éleveur, peut soit décider de ne pas prescrire d’antibiotique soit de prescrire l’antibiotique le plus adapté à la bactérie identifiée, à l’historique mammite de la vache et à la situation globale des mammites dans cet élevage ; l’objectif étant de maximiser les chances de guérison tout en préservant l’efficacité des antibiotiques utilisés. La cassette d’analyse des mammites subcliniques ne fait pas d’antibiogramme car il n’y a pas actuellement de problèmes d’antibiorésistance avec les antibiotiques utilisés au tarissement, cependant une réduction de leur utilisation permet de réduire le risque d’apparition.
XXLait : En plus de l’utiliser sur les vaches douteuses au tarissement, dans quelles autres situations les cassettes « mammites subcliniques » de Mastatest sont-elles intéressantes ?
PR : Il est tout-à-fait possible d’étendre l’utilisation des cassettes subcliniques sur les vaches infectées au tarissement. En connaissant les germes, ils vont pouvoir cibler l’antibiotique de tarissement afin d’augmenter la probabilité de guérison.
La cassette mammite subclinique est également utile pour connaître le modèle épidémiologique dans les élevages : avec beaucoup de mammites subcliniques mais peu de mammites cliniques, elle sera utilisée par les éleveurs pour analyser le lait des vaches en lactation avec beaucoup de cellules.
La systématisation des analyses dans l’élevage permet ainsi de connaitre l’ensemble des germes responsables des mammites, leur fréquence respective, leur éventuelle saisonnalité. Cette vue d’ensemble mois par mois permet d’orienter les mesures de prévention à mettre en œuvre voire de cibler certaines mesures sur certaines périodes plus propices à certains germes. Par exemple, les E. coli sont des germes d’environnement dont une fréquence élevée doit inciter à renforcer l’hygiène du bâtiment.
Et enfin, les élevages qui ne disposent pas de comptage cellulaire individuel auront besoin d’un autre outil permettant d’identifier les vaches infectées pour mettre en place le traitement sélectif au tarissement : Mastatest est une solution pour ces élevages. En effet, le règlement sanitaire européen interdit l’administration systématique d’antibiotiques sur des vaches saines sans symptôme clinique. Sans comptage cellulaire individuel, un éleveur ne pourra pas montrer qu’une vache sans symptôme clinique est infectée et il ne pourra donc pas la tarir avec des antibiotiques. Avant de tarir une vache, cet éleveur devra donc faire soit un comptage cellulaire, soit une bactériologie du lait.
- Mastatest est distribué par les vétérinaires. Chaque vétérinaire choisit son modèle économique. Soit, il la revend aux éleveurs, soit il la loue, soit il l’intègre dans un suivi de santé mammaire. ↩︎