Luk Mangelinck est intervenu sur les facteurs de réussite économique suite à la reprise d’une exploitation laitière. La prise en compte de la valeur de reprenabilité dans la négociation du prix d’achat et une juste évaluation du fonds de roulement sont déterminantes dans la trajectoire financière des jeunes installés.
Le cédant et le repreneur n’ont pas la même analyse de la valeur d’une même exploitation. Le cédant s’intéresse à la valeur patrimoniale modérée par la valeur économique. La valeur patrimoniale vise à tirer le meilleur profit du bien à vendre en additionnant les prix de marché de chaque bien qui constitue la ferme. Quant à la valeur économique (également appelé valeur de rentabilité ou de rendement), elle se calcule à partir de la rentabilité des capitaux qui seraient investis dans l’exploitation après rémunération du travail. Dans les dossiers de transmission étudiées par le CERFrance Brocéliande1 en 2023, la valeur économique moyenne était de 0,78 € par litre de lait. Avec un écart considérable, de 1 à 3, entre les plus efficaces économiquement (1,12 € par litre) et les moins efficaces (0,36 € par litre). C’est sur les bases de la valeur économique et de la valeur patrimoniale que le vendeur va s’appuyer pour négocier le prix de vente de son exploitation. Certains actifs immatériels permettent de le consolider parce qu’ils permettent de mieux valoriser les produits (contrats de vente et existence de filières de qualité permettent de limiter les risques économiques), ou de réduire les coûts de production (possibilité de délégations de travaux, existence d CUMAS de matériels).
La valeur de « reprenabilité » : la boussole du repreneur
L’acquéreur a un autre repère économique en tête pour fixer sa base de négociation d’une exploitation : la valeur de « reprenabilité ». Cette dernière est basée sur la capacité de remboursement de l’exploitation, pour un repreneur sans apport, calculée à partir de la trésorerie dégagée. Elle tient compte du potentiel de résultat de l’exploitation, des attentes de revenu du repreneur ainsi que des éventuels futurs besoins de financement pour mettre à niveau l’outil par rapport à la réglementation ou au confort de travail. La valeur perçue par le repreneur est influencée par son projet. Par exemple, si celui-ci souhaite s’installer sur un système pâturant, il bonifiera une exploitation avec une surface accessible importante autour des bâtiments et un climat favorable à la pousse de l’herbe. Et s’il souhaite vendre directement aux consommateurs, il attachera de la valeur à une localisation péri-urbaine.
Luk Mangelinck a présenté les résultats de ces trois modes de calcul de la valeur d’une exploitation dans le cas concret d’une ferme produisant 450 000 litres de lait et engraissant 40 taurillons par an. Les actifs à reprendre étaient constitués des bâtiments d’élevage, des stocks fourragers, du matériel et du cheptel. L’estimation de la valeur patrimoniale est de 560 000 € (soit 1,24 € / l), celle de la valeur de rentabilité est de 405 000 € (0,9 € / l) et la valeur « de reprenabilité » est de 375 000 € (0,8 € /). Pour réussir l’installation d’un jeune sur cette exploitation, le cédant devra consentir à déprécier ses actifs de l’ordre de 30 %. L’acceptera-t-il ?
Un seuil d’investissement total par 1000 litres
Les besoins de financement ne se limitent pas à la seule reprise de l’exploitation. En plus, le jeune installé devra financer le fonds de roulement ainsi que les éventuels projets de modernisation et de développement. Une étude conduite par le CERFrance a permis de suivre la trajectoire financière de 372 éleveurs laitiers installés sur des systèmes laitiers diversifiés pendant leurs trois premières années d’installation (de 2012 à 2015). Cette étude date d’une décennie. Mais, au-delà des chiffres, les enseignements restent d’actualité. En 2012, les éleveurs laitiers avaient investi, en moyenne, 1070 € par 1000 litres de lait pour s’installer. Trois ans plus tard, le montant de leurs investissements avait bondi de près de 20%. Le retour sur investissement (ROI) moyen était de 17 ans, une période très longue qui place 40 % des nouveaux installés en situation de risque élevé vis-à-vis des différents aléas.
Cette étude montre qu’il faut raisonner le prix de rachat d’une exploitation en tenant compte des futurs besoins de financement pour la modernisation et pour le développement. L’ensemble ne devant pas dépasser un seuil qui était compris entre 800 et 900 € par 1000 litres de lait au début des années 2010. Au-delà, le résultat courant par UMO exploitant chutait de moitié. Un montant d’investissement trop élevé peut alors conduire à chercher à augmenter la productivité du travail au-delà de la limite qui permet de maîtriser la conduite et la technicité. Le bon équilibre entre vie professionnelle et privée peut également en pâtir.
L’autre enseignement de cette étude est que les besoins en fonds de roulement étaient sous-évalués pour 40% des nouveaux installés. Trois ans après leur installation, 30% des éleveurs avaient une trésorerie insuffisante et dans 15% des cas, elle était dans le rouge.
- Le CERFrance Brocéliande opère en Bretagne, sur les départements de l’Ille-et-Vilaine et sur le Morbihan ↩︎
Éric Bernard de Quatuor Transactions :
« La valeur de l’exploitation est très dépendante du foncier »
Le foncier détermine les capacités de production fourragère et donc du potentiel de livraison de lait. La surface accessible pour le pâturage va donner une plus-value à l’exploitation car elle offre la possibilité de choisir son système de production avec plus ou moins d’herbe pâturée. Le cheptel et le matériel peuvent-être vendus au prix de marché, mais la valeur du site d’exploitation est très dépendante du foncier : surface, dispersion, accessibilité pour le pâturage. Lors d’une transmission d’exploitation, l’amputation d’une part du foncier ou sa grande dispersion vont entraîner une décote très forte voir la non-vente de l’exploitation. Pour préparer la cession de son exploitation, il faut donc s’assurer de la maîtrise du foncier. Ce qui ne signifie pas d’en être totalement propriétaire. Mais plus le foncier est dispersé entre de multiples propriétaires, plus sa maîtrise sera compliquée lors de la cession de l’exploitation.