REPORTAGE. Salariés ou robot ? Pour Patrice Pécheul à la tête d’un troupeau de 150 vaches dans les Côtes d’Armor, l’automatisation de la distribution permet d’attirer dans le métier de jeunes salariés férus de nouvelles technologies, de mieux organiser leur travail grâce au gain de temps et d’être productifs. Chez lui, c’est donc salariés ET robots.
Patrice Pécheul est installé dans les Côtes d’Armor, entre Rennes et Saint-Brieuc depuis 2009. Il produit 1,6 million de litres de lait, cultive 225 ha de SAU et engraisse des porcs charcutiers. Ils ne sont que trois pour abattre tout ce travail : l’éleveur et ses deux salariés. Il explique « qu’il a donc construit tout son système de production pour livrer le maximum de lait par place de bâtiment ». Chacune des heures de travail des salariés doit-être rentable ! Pour illustrer son obsession de la rentabilité du travail, il cite « qu’il ne sort pas ses vaches au pâturage, car ce n’est économiquement pas intéressant d’envoyer des salariés compétents à poser des clôtures ». C’est également sa préoccupation de la productivité du travail qui l’a poussé, il y a quatre ans, à réorganiser ses bâtiments d’élevage en les regroupant tous sur le même site. Un bâtiment pour les génisses a été construit en face de celui des vaches laitières. Dans l’alignement de cet ensemble, il a érigé une autre stabulation pour les vaches taries et celles en préparation au vêlage.
Donner envie aux salariés
Simultanément, il a lancé son projet de robot d’alimentation. Il distribuait alors les rations de ses bovins avec un bol mélangeur qui allait sur ses huit ans et qu’il fallait renouveler. Il en était de même pour le tracteur attelé à ce dernier qui affichait 14 000 heures de travail au compteur. « Leurs renouvellements à l’identique ne permettaient pas de résoudre mes problématiques de travail, au premier rang desquels, des journées surchargées » analyse Patrice Pécheul. Comme il avait pris l’habitude d’enregistrer les emplois du temps, il avait calculé que l’alimentation des bovins occupait 1100 heures par an en comptabilisant les temps de distribution, d’enlèvement des refus, de repousse des fourrages, de débâchage et de nettoyage des pieds de silo. Le dirigeant avait également identifié que le fait d’être dépendant de la main d’œuvre salariée était une fragilité dans un contexte de forte concurrence entre agriculteurs pour recruter des ouvriers. « Si je venais à manquer de main d’œuvre, je pourrais mettre mon exploitation en péril » résume-t-il pour expliquer sa crainte. Il se doit donc d’offrir des conditions de travail attractives pour fidéliser ses employés et en recruter de nouveaux. Le nombre de week-ends d’astreinte en fait partie avec un objectif pour l’employeur : pas plus d’un sur trois ! Pour obtenir ce résultat, il fallait réduire le temps de travail pendant les week-ends pour qu’une seule personne puisse effectuer l’ensemble des tâches. Aujourd’hui, la durée de l’astreinte est limitée à cinq heures de travail le samedi ainsi que le dimanche. La semaine d’avant et celle d’après son week-end travaillé, le salarié n’est présent que quatre jours sur l’exploitation, si bien qu’il profite de deux pauses de trois jours autour de son week-end d’astreinte. Pour Patrice Pécheul, la robotisation participe également à l’intérêt du travail pour les salariés. Il constate que « c’est plus facile de recruter de jeunes salariés dans une ferme technologique et qu’il a pu embaucher des personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole ». « Les jeunes sont doués pour les nouvelles technologies, ils adorent cela, c’est leur univers » observe l’éleveur qui est convaincu que « les exploitations agricoles ont intérêt à suivre cette évolution de la société ». La robotisation permet également de diminuer la pénibilité de certains travaux. « Sans les robots, j’aurais sans doute eu plus de mal à convaincre ma dernière recrue, une femme, de venir travailler chez moi » note Patrice Pécheul. La robotisation ne fait pas tout pour recruter et fidéliser les salariés. L’éleveur cite, comme autres avantages pour ses deux employés, la mise en place d’un plan d’épargne salariale. Il constate avec satisfaction que toutes ces attentions portent leurs fruits puisque l’un de ses deux salariés « est fidèle au poste » depuis 2016.
Lamier bilame de désilage
Chez Patrice Pécheul, la cuisine TK40 est composée de quatre tables de stockage en inox de neuf mètres de longueur. Deux d’entre elles sont réservées à l’ensilage de maïs, une à l’ensilage d’herbe et une dernière à la paille. L’agriculteur aurait aimé s’équiper d’une table supplémentaire pour incorporer deux qualités différentes d’ensilage d’herbe dans ses rations. L’investissement de 20 000 € environ l’en a dissuadé. La capacité de stockage est étudiée pour assurer trois à quatre jours d’autonomie entre les réapprovisionnements. Dans les faits, l’éleveur recharge les tables quand il a un moment de disponible. « Je ne bloque pas de temps spécifique pour cela dans mon emploi du temps » précise-t-il. Une alarme sms le prévient quand un fourrage vient à manquer. Les tables sont équipées de convoyeurs à chaines qui avancent les cubes de fourrage pour le désilage ou les reculent lors du réapprovisionnement pour coller le nouveau cube à celui en cours de désilage. Un lamier bilame permet de débiter « des tranches » de fourrage dans le cube. L’une des lames fait des découpes horizontales dans le cube et l’autre des coupes verticales. « Avec ce système, le cube se tient bien, il ne s’effondre pas en cours de désilage » souligne l’éleveur. La taille « des tranches » est réglable si bien que le lamier peut découper des balles de paille, de foin ou d’enrubannage. Mais, l’éleveur juge que le temps de découpe des fourrages en balles est un peu long car « il faut faire faire des petites tranches pour obtenir un bon mélange dans le wagonnet ». Il préfère donc utiliser de l’herbe ensilée et de la paille hachée et calibrée qu’il charge en vrac sur la table. Les convoyeurs demandent un entretien régulier : la tension des chaînes d’entrainement est réalisée tous les ans et le graissage des roulements tous les huit jours. Il fait remarquer « que la courroie d’entrainement du lamier est à changer trop fréquemment à son goût ».
Zéro refus
Le wagonnet TGV alimente les vaches en lactation et les génisses qui partagent le même couloir d’alimentation ainsi que les vaches taries et celles en préparation au vêlage élevées dans un autre bâtiment construit dans l’alignement du premier. La particularité du robot Triomatic est de pouvoir distribuer le long d’une auge à l’aller ou au retour. La ration des laitières composée de 10 Kg MS d’ensilage d’herbe, de 12 kg MS d’ensilage de maïs, de 1,25 kg de maïs grain sec ainsi que de 2,5 kg de correcteur azoté et de 320 g de minéraux est distribuée en neufs parts égalitaires par jour. « C’est possible de la diviser en parts inégalitaires » précise Patrice Pécheul. Le robot Triomatic offre énormément de possibilités de programmation de son fonctionnement directement sur l’interface tactile du wagonnet TGV. « Pour chaque ration, je peux programmer la vitesse de mélange et le temps de mélange. Pour la gestion des quantités distribuées, je peux agir sur le nombre de vaches à l’auge ou sur le pourcentage de ration à distribuer » observe l’éleveur. C’est cette dernière option qui est privilégiée pour ajuster les quantités distribuées en fonction du reste à l’auge. Par sécurité, l’éleveur préfère qu’il reste en permanence suffisamment de fourrage dans les auges, le temps de dépanner la machine s’il y a lieu. « Je ne veux pas travailler en flux tendu » insiste-t-il. Cela ne signifie pas qu’il jette des refus, bien au contraire ! « Avec les distributions fréquentes, les rations ne chauffent plus dans les auges. Je ne jette plus de refus, c’est autant de fourrage économisé » souligne-t-il.
Plus d’activité dans le bâtiment
Quand Patrice Pécheul fait le point sur ce qui a changé dans son troupeau suite à la mise en route du robot Triomatic il y a quatre ans, il cite en premier lieu l’augmentation de l’activité des animaux la nuit qui se traduit par des passages plus fréquents au robot de traite. « Le robot d’alimentation rythme la vie dans le bâtiment » observe l’éleveur qui a remarqué « que chaque passage du robot stimule les vaches même quand il ne fait que passer pour distribuer dans le bâtiment des taries ». Il également observé un gain de production laitière. « Elle est spécifiquement liée au manque de places aux cornadis dans mon bâtiment » explique Patrick Pécheul qui précise « qu’il n’a que 105 places à l’auge pour 135 vaches présentes (ndlr : 0,8 place à l’auge par vache présente) ». Les vaches dominées étaient défavorisées lorsque l’éleveur distribuait à la mélangeuse. « Alors qu’avec une distribution automatisée, la fréquentation de l’auge est plus étalée, toutes les vaches ne viennent pas manger en même temps » explique l’agriculteur.
Un coût d’usage compétitif par rapport à un bol mélangeur, de meilleures conditions de travail pour les salariés et quelques effets positifs sur le troupeau : Patrice Pécheul est convaincu que l’automatisation de la distribution était le bon choix pour son exploitation. « Cela comptera également dans l’attrait de mon exploitation quand sonnera l’heure de la retraite dans une dizaine d’années et que je chercherai à transmettre » ajoute l’éleveur à la liste des avantages.