EXPERTISE. Réduire l’intervalle entre vêlages (IVV) est rentable. Thibaut Gautherot d’Innoval et Dominique Champenois, vétérinaire Vet&Sphère, les deux experts que Le Mag XXLait a consulté, s’accordent à ce sujet tout en reconnaissant qu’en-dessous de 370 -380 jours, il y a débat.
Sur ces cinq dernières années, l’intervalle entre vêlages (IVV) a diminué de dix jours en moyenne dans les 25000 élevages suivis par Innoval. Dans ces élevages, l’IVV moyen est de 410 jours et le quart des éleveurs les plus performants affiche une moyenne de 395 jours. Thibault Gautherot, le référent reproduction bovine de la coopérative souligne que « les élevages les plus productifs, ceux à plus de 9500 kg de moyenne d’étable, ont un IVV plus court de 25 jours que ceux à moins de 7500 kg (405 jours versus 430 jours) ». Dominique Champenois, vétérinaire spécialisé dans le suivi des élevages laitiers dans le cabinet Vet&Sphère (groupe Cristal), confirme que « les troupeaux les plus productifs ont les meilleurs résultats de reproduction ». Ce constat partagé bat en brèche le discours commun selon lequel les hautes productrices ont plus de difficulté à se reproduire. Selon les deux techniciens, « les résultats de reproduction dépendent avant tout de la rigueur de la conduite d’élevage, du respect de protocoles et du confort des animaux et non du niveau d’étable ». « Une forte production laitière est tout à fait compatible avec une bonne reproduction » réaffirme Thibault Gautherot.
« Les troupeaux les plus productifs ont les meilleurs résultats de reproduction »
Pourquoi l’intervalle entre vêlages diminue-t-il ? Le vétérinaire Dominique Champenois explique que « derrière cet objectif, c’est la diminution du mois moyen de lactation qui est recherché ». En effet, ces deux critères sont « mécaniquement » liés car, lorsque les vêlages sont plus fréquents, les animaux en début de lactation sont plus nombreux et les durées de lactation sont plus courtes. Diminuer le stade moyen de lactation augmente « physiologiquement » la productivité des vaches. Dominique Champenois cite l’exemple d’un élevage qu’il suit dans lequel le passage de 6,2 mois moyen de lactation (un stade qualifié d’acceptable) au stade optimal de 5,2 mois permettrait de gagner 2,1 kg de lait par vache et par jour (de 31,3 kg à 33,4 kg). Bien entendu, cette augmentation dépend de la persistance laitière.
« 10 jours d’IVV de moins, c’est 1 kg de lait en plus par vache et par jour »
Dominique Champenois nuance l’intérêt économique de ce gain en faisant remarquer que « ce n’est pas uniquement la quantité de lait livrée qui fait la paie du producteur mais également sa qualité ». Or, les taux protéiques et de matière grasse remontent naturellement au cours de la lactation, si bien que le prix de vente du litre de lait augmente avec le stade de lactation. En reprenant l’exemple précédent, le TP ainsi que le TB baissent de 1 point lorsque le stade moyen de lactation diminue d’un mois ce qui équivaut à une baisse du prix du lait vendu de l’ordre de 8,4 € par 1000 litres de lait (2). Cependant, Dominique Champenois calcule que « le produit par vache reste en faveur de la diminution du mois moyen de lactation puisqu’à 5,2 mois de lactation, les vaches génèrent 14,03 € de chiffre d’affaires par jour, soit 0,62€ de plus qu’au stade 6,2 mois1 ».
Une amélioration de la marge annuelle par vache de plus de 2 € par jour d’IVV gagné
Ces animaux plus productifs auront des besoins alimentaires supérieurs : il est donc légitime de questionner l’évolution de la marge sur coût alimentaire. Selon Thibault Gautherot, les données compilées par Innoval depuis plus de cinq ans sur plus de 6000 élevages montrent une augmentation de la marge brute journalière par vache de +2 € à +4 € par vache et par jour lorsque l’IVV descend en-dessous de 400 jours. Dominique Champenois calcule que « dans l’élevage laitier cité ci-dessus, les animaux devraient consommer en plus 500 g de concentrés de production (à 350 € / T) et 250 g de correcteur azoté tanné (à 450€/ T) pour couvrir les besoins des 2,1 kg de lait supplémentaires ». Le surcoût alimentaire est donc de 0,29 € par vache et par jour à soustraire au chiffre d’affaires supplémentaire de 0,62 € pour obtenir une augmentation de la marge sur coût alimentaire par vache et par jour (la MCA / VL /j) de l’ordre de 0,33 €. Ce simple calcul surévalue le gain car diminuer l’IVV engendre des investissements dans du monitoring, des coûts de suivi de gestation et dans les protocoles de traitement ainsi qu’une hausse des réformes pour infécondité. Cependant, toutes les analyses faites à ce sujet convergent vers une amélioration de la marge annuelle par vache de plus de 2 € par jour d’IVV gagné. Ce profit par jour gagné baisse au fur et à mesure que l’IVV diminue : à 470 jours d’IVV, le gain est de 3,80 € par jour gagné, à 410 jours, il est de 3,40 € et à 372 jours d’IVV, il diminue à 2,15 € par jour gagné. Cela s’explique car « les efforts » pour gagner un jour d’IVV augmentent quand ce dernier se rapproche de 365 jours. Thibault Gautherot souhaite également nuancer l’espérance de gain sur les vaches avec de très bonnes persistances laitières. « A l’échelle de l’animal, il est possible que le gain économique permis par la réduction de l’IVV soit nul voire déficitaire sur des vaches avec de très bonnes persistances laitières. Les études sont contradictoires à ce sujet ».
« A partir de 380 jours d’IVV, s’améliorer sur d’autres critères sanitaires ou techniques sera plus profitable »
Diminuer toujours plus l’IVV, a-t-il un intérêt ? Pour Dominique Champenois « descendre en-dessous de 380 jours d’IVV, est moins intéressant économiquement car le profit par jour gagné stagne. A ce niveau, reporter ses efforts dans l’amélioration d’autres critères sanitaires ou techniques sera plus profitable ». Thibault Gautherot ne le contredit pas en affirmant que « descendre en-dessous de 365 – 370 jours est même contre-productif car cela implique de réformer drastiquement les animaux qui ont plus de difficulté à se reproduire avec un coût élevé ». Les gains économiques seront le plus importants en se focalisant dans le suivi et la mise à la reproduction active des animaux qui ne sont pas inséminés à plus de 110 jours de leur vêlage.
- Avec un prix du lait standard à 420 € / 1000 litres ; + 2,95 € /l par g de matière grasse au-dessus de 38 g/l ; + 5,43 € /1000 l par g de matière protéique au-dessus de 32 g/l. ↩︎